on ne sait où


III

il y avait cette pendule ce matin qui sonnait les heures et qui continue encore il y avait cette pendule au carillon particulier entendu durant mes vingt premières années chaque heure passée à ses côtés pendule de bronze aux trois femmes drapées seins nus qui avant sur un buffet et aujourd’hui à terre il y avait cette pendule entendue des années après des centaines de kilomètres plus loin moi qui pensais que les choses n’existaient que dans les lieux où en nous elles étaient nées

elle sonne la demie

et il y a ces heures que jamais on n’oublie seulement on les met de côté comme ces choses qui ont servi et qui ne servent plus jamais

et il y a en soi tant qui revient sans nostalgie sans amertume sans larme aucune juste l’égrainage du temps qui rythme et dissipe

elle sonne encore

et il y a ce qu’on oublie ne voit plus ni n’entend les cris d’enfants les heures caché sous les draps les lumières au plafond que les persiennes strient

et il y a les corps des morts ces êtres présents près de soi comme de soi les prolongements qui n’ont pas attendu qu’on est l’âge de pleurer pour s’évanouir s’effacer
s’en aller

et il y a le silence qu’on garde comme le plus grand présent voix intérieure que l’on suit

et entend encore celle du secret émanant de ce temps

elle reprend

II

marcher dans une ville connue c’est toujours revenir sur soi-même ses traces ses histoires les savoir proches prêtes à surgir ici et là non par surprise juste comme attendues et de changer d’itinéraire n’y fait rien qui convoque ce qui provoque ce changement l’assoie le pose comme évidence et la ville de ne plus être que ce montage d’histoires vécues rues pour témoins comme si aux façades avaient été inscrits nos plaintes joies et tourments appels téléphoniques passés voix encore résonnantes entre les pierres roses ricochant sur les bétons reflets des vitres ensoleillées photographies prises rangées on ne sait où si ce n’est en soi claires et nettes comme un 4 par 6 affiché à chaque carrefour éclairé la nuit et qu’on renouvellera à chaque clignement des yeux et toutes ces pensées notées dans des carnets autant de page à se souvenir comme nos pas foulant l’asphalte gris de la ville

aujourd’hui me sont revenues plusieurs histoires à la fois n’en fabriquant plus qu’une que des années pourtant séparaient et que tout opposait comme si dans ces pages tournées la matière du présent se trouvait révélée et même se trouvait à son aise histoires de luttes mots échangés histoires de doutes larmes tirées histoires de fuites ne fait-on que cela depuis toujours fuir et fuir encore peut-être oui

enfant amant mari amant encore fuite en avant

I

venir ici à strasbourg en son centre me transporte dans le temps sans pourtant faire ressurgir un quelconque passé dans cet aujourd’hui éclairé et c’est bien l’ambiguité de ces sentiments enfouis souvenirs fuyants dont les traces sont des lignes tirées directions uniques qui jamais ne fabriquent le présent juste à son arrière restées traine de tulle évanescente voile blanc brume que le vent dissipe tout autant et ce ne sont pas les rues ni les boutiques aperçues de loin arrivant mais plutôt ce que la ville donne vraiment son échelle son bruit sa couleur son air ses alignements on dirait un lieu unique comme l’est le havre quoi qu’en disent ceux que la ville n’intéresse pas ou qui

simplement ne la connaissent pas la comparant à toute autre reconstruite et inversement et c’est ici une force impressionnante que de se sentir là là où l’on est vraiment tant les villes disparaissent derrière ce qui les rend toutes semblables non au travers des places des rues étroites des jardins des mairies et écoles des églises mais qui se reflètent toutes dans leurs boutiques mille fois répétées identiques aux enseignes qui ne nous apprennent plus rien sur le lieu et son histoire simple contemporanéité façade de carton jetable et déjà tant recyclée

la ville prend ce qu’elle ne donne pas mais offre entre ses pierres taillées ses brasseries rideaux tirées ses rues animées une sensation de suffisance et d’autonomie que je suis venu chercher il y a quelques années me mettant à l’abri des cris du bruit que faisait ma vie me mettant à l’écart de moi-même me posant de côté et là allongé arrêtant d’écrire je reprenais la lecture cherchant dans les mots des autres l’aide que personne ne voulait plus me donner main tendue mainte fois perdue seul pour une fois qui ne recherchais que la compagnie de l’autre le regard et la voix alors reprendre vie



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 juin 2013.