on se tait


il faudrait planter le décor parler de l’époque des lieux des hommes il faudrait ouvrir une carte situer l’action parler de la ville de son histoire du port et des départs des familles de l’exode sous l’occupation la france parcourue à pied en train qu’importe il faudrait parler du vent des embruns des arcades et des courants d’air abrités sous elles salés comme la mer il faudrait raconter les enfances séparées les enfances opposées les enfances détruites la souffrance et l’absence il faudrait dire plus que parler expliquer ce que l’on sait ce dont on se souvient devenu avec le temps vérités il faudrait tant étaler mettre sur la table dénoncer désigner et détruire tant crier on se tait
il est mort hier peut-être était-ce le jour d’avant ou il y a dix ans en soi ça indiffère alors depuis toujours chaque jour comme neuf on le revoit costume gris ou blazer montant dans la gs on le revoit assis au volant gauloise à la bouche chauffage à fond pour assécher la condensation fondre le givre réchauffer l’air le moteur tourne la voiture se relève en deux temps impression de prendre l’air plus que de rouler assis dans son dos toujours à la même place peut-être pour ne pas le voir siège d’un bloc appui-tête et assise d’une pièce comme un sarcophage on se tait
à table au dîner on a pris cette habitude alors que quotidiennement les mêmes sujets de conversation reviennent ça parle politique sans parler d’idées ça parle travail fier à outrance ça parle du temps et ça repose ça parle de tant de choses qu’on s’y perd jamais ne sait répondre on a beau chercher faire des efforts rien ne vient et on a appris avec le temps que parler ne sert à rien la réponse toujours mauvaise qui entraîne un flot de paroles sans fin et contester mieux vaut oublier se faire discret laisser échapper son regard penser à autre chose rêver on se tait



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er septembre 2015.