les nouveaux horizons


On a tiré les rideaux un filet d’air pénètre par la dernière des six fenêtres entrouverte et comme un bruit avec lui mais sourd de la ville et du monde qui l’entoure une musique discrète filet d’air et souffle par la fenêtre la lumière est blanche le ciel gris des dimanches d’hiver et maintenant du plus souvent gris ciel on dit masse uniforme épaisse et intemporelle masse soulevée prête à retomber alors on reste à l’intérieur l’appartement nous protège on s’isole s’écarte se met de côté comme pour du temps en ralentir le pressé et il s’arrête du moins on le croit tout à l’abri qu’on est du mouvement et des gens qui vivent en bas et entre ciel et terre nuages et rues une pluie fine humidifie l’air qui tombe au sol miroir
Il fallait s’assoir se reprendre finir ces luttes ces révoltes il fallait se poser retrouver ce que du calme on attend et se mettre à la table à écrire les mots entêtent tant les faire sortir qui s’amoncellent forment des tas des montagnes des poids bouchent les voies font taire à force de tenir comme un siège en soi il fallait dire re-dire et comprendre prendre à soi arrêter de fermer les bras et les maux de tête de reprendre on t’explique comment à l’intérieur de ton crâne ça pousse et sèche l’eau manque ça gonfle et s’assèche on croit mourir encore une fois qui était mort déjà au jour de sa naissance on l’avait dit par erreur reconnu peut-être un aveu maladroit 1969 date de ma mort sans s’en rendre compte certain de ça
La pièce est vaste et occupée de fauteuils formant canapé d’une table basse d’une chaise longue d’étagères pleines de livres et aux objets rapportés de voyages variés comme les virgules d’un texte à la phrase unique et infinie qui chaque jour s’allonge s’étend s’étire et se complète il y a deux tabourets identiques teintés de noir comme pour traire assis au pied de l’animal et des tableaux qu’on n’a pas accrochés aux murs de la pièce des tableaux anciens des dessins des collages des pastels et des photographies et des plaques de cuivre aussi de la gravure le négatif un cactus des lampes sur pied un bureau plateau vitrine et dessous divers galets présentés comme l’argenterie précieuse d’antan des pierres roulées et douces
Accolée à la pièce une autre deux tables en enfilade plateau de métal deux bancs des chaises de bois une banquette de la taille d’un lit qui sert aux amis et à soi parfois quand le sommeil n’arrive pas il y a une grande toile posée sur une chaise d’un peintre argentin aux tonalités de gris de bleus d’algues une toile falaise un homme en bas à droite et de dos semblant chercher de la tête ce qu’on a décidé de cacher de couper de faire disparaître il y a une étagère livres de poésie et voitures miniatures souvenirs de l’être dont on dit qu’il a été quelques images des cartes postales amassées lors de visites de villes étrangères des billets divers des tickets sur lesquels alors que l’ennui gagnait on a dessiné des paysages
C’est à croire qu’on les cherche depuis toujours plus qu’une quête un unique amour les nouveaux horizons des dessins par centaines aux supports variés feuilles déchirées papiers imprimés cartons billets dans des carnets ou volants dans les poches mais toujours couleur bleu et d’un pays paysage la même idée un sol une étendue champ ras ou ville perdue quelques murs des parois parfois faisant face parfois fuyantes obliques ou droites courbes et transparentes opaques un toit au-dessus simple dessous de l’inconnu sans couvrir tout l’espace un arbre ou deux des troncs plutôt des hommes éparses marchant par deux et l’horizon d’un trait bleu trait tremblé comme point de visée limite à atteindre au-delà projet
La lumière au dehors se fait plus vive le sol a séché les façades aussi de là où l’on est impossible de voir les gens mais à coup sûr les parapluies sont refermés les épaules séchées les terrasses remplies et le silence a gagné on entend à peine le bruit des voitures sur l’enrobé ni les bus passer on a mangé un peu presque rien et bu un café il était froid du matin on a rangé et est revenu à la table écrire écrire pour fuir longtemps on a eu cette envie de disparaître d’un coup effacé non absent mais comme jamais n’avoir été longtemps on a cru cela possible et puis les ans les êtres tout empêche alors on fait figure on fait face on tente on essaie plus on avance plus le poids est lourd on baisse la tête les larmes aussi sèchent
les nouveaux horizons on les déploie en soi et c’est bien assez on ferme les yeux et la fenêtre avant de sombrer ils sont là tiennent tête bleus fins répandus plus que l’air qui manque pour respirer on y pénètre à alice on a rien à envier on marche et avance parcourt et se perd une main dans la sienne ivre de l’étendue découverte de la plaine du plein paysage celui de l’être qui brise les chaînes qu’on ne peut plus à ses poings supporter
A elle on tente de dire on tente comment y parvenir on s’assoit continuons dit-elle et on parle sans bien savoir où débuter l’histoire sans bien savoir si ce dont on se souvient suffira pour dire alors on lance on se lance sur ci ou çà on parle de l’enfance des frères séparés des bords de mer des jours enneigés des étés à n’en rien faire des silences forcés des cris des violences des larmes et du crime on parle comme faisant un bond dans le temps d’hier des vingt et un an avec elle de la fuite du travail de la fuite encore on rit parfois parfois ce sont les larmes qui perlent mais jamais on ne se perd et revient inlassablement sur lui son histoire son enfance et les années qui suivirent ce qu’on en sait le père
La mémoire comme seule vérité alors avec il faut réussir à faire réussir à avancer s’y retrouver replacer chaque chose là où en soi s’impose là où le vide est si grand que laisser ainsi ronge la mémoire on l’oublie l’arrange mais l’histoire de jadis reste immuable épuisante et on re-dit tout on re-prend le fil du temps re-place les gens dans les lieux de leur enfance durant la guerre au lycée au travail on re-commence l’histoire les mots le tentent et tout s’aligne situation parfaite engrenage soi en tête et invente ce qui manque ou peut-être le croit-on seulement on complète dessine fièrement ce qu’on a en tête l’arbre est grand complexe infiniment et tout ce qu’on reprend au temps c’est ça d’avance maintenant
La lumière partout dans la pièce comme au dehors semble égale uniforme blanche douce l’air est sec maintenant il y a sur la table une imprimante une lampe des livres de photos des stylos dans un pot il y a des câbles des boitiers électroniques des téléphones à l’écran noir des dossiers des images maintenues ensemble par une pince métallique il y a un bois couvert de couleurs des verts des jaunes des bleus un rose un rouge nuages volumes murs et horizon le premier des nouveaux dix ans en arrière



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 septembre 2015.