suzie


en 1939 la famille dourlot originaire de dijon et propriétaire d’une auberge dans le centre de la ville décide de les quitter
ils sont deux parents bien vêtus chargés de bagages de cuir et de leur bourgeoisie naissante accompagnés de leur trois filles paule l’ainée d’une vingtaine d’années suzie dix huit ans la cadette et jacqueline la puinée encore enfant
auberge vendue biens cédés la famille prend en train la direction du havre réelle expédition dans une france en guerre que les enfants raconteront mille fois comme un souvenir extraordinaire un voyage le voyage leur plus beau voyage
paris fut traversée à pied les bras chargés où la vie continuait les boutiques encore ouvertes les devantures aux vitrines éclairées les gens pressés
à saint-lazare la fumée emplissait la halle au toit de verre et tout le monde de se hâter tête baissée vers les voitures enchaînées qu’une locomotive à charbon guiderait vers le bout de l’estuaire port transatlantique puis la mer horizon tiré
dans ce train de la dernière chance ils ont failli se perdre en tomber tant ils étaient à fuir la guerre et le pays à vouloir ailleurs tout recommencer
le train s’arrêta au pied de la gare maritime beau bâtiment rigoureux et fier au béton de sable comme flottant sur les quais qui avait été retardé par des contrôles successifs et gendarmés dernier bateau parti plus d’autre programmé les familles en peine à pleurer un rêve qui sombrait
quittant le port le bateau déjà au loin la famille dourlot regardait son avenir fuir se réduire se refermer qui coula au large raison inexpliquée alors on restera au havre pour de longues années

ma grand-mère maternelle s’appelait suzie

(post-lecture de ellis island de georges pérec POL éditeur 1995)



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 mai 2014.