je n’aimais pas le temps des ombres
j’ai changé
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ce n’est qu’au travers de l’ombre que l’on apprécie la lumière disait-il
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je me suis assis au calme de la salle du bar en retrait du monde comme à l’abri
il y a là-bas vers la vitre deux hommes attablés qui parlent fort l’un deux une voix d’acteur rôle appris mots répétés l’autre qui se tait
au loin la ville dans la lumière les passants inlassablement en mouvement renouvelés à moins qu’un simple changement de tenue me les fasse paraître différents
ça n’arrête pas qui défile un ruban un film non l’image projeté mais la pellicule elle-même on dirait ce monde le négatif d’un autre
de l’ombre la lumière
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au fur et à mesure que les mots s’écrivaient sur l’écran l’ombre gagnait la page rognant immanquablement la diffuse lumière rongeant la feuille la noircissant corrosion rouille noire le feu gagnant que les cendres rendraient évanescente
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pour ce qu’il avait fait il fallait le juger
certains le voulaient
l’enfermer le jeter à l’ombre l’écarter
de nous l’éloigner comme d’un revers de main on fait place nette sur la table
miettes tombant au sol vol léger chute lente qu’aucun bruit ne vient achever
pour ce qu’il avait fait on aurait dû le mettre à l’ombre
à l’ombre de lui-même
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mon ombre je te tiens
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sur elle impossible de compter jamais la même toujours changeante mouvante surprenante
une fois ici une autre là partout comme nulle part on la perd et c’est elle qui nous retrouve
parfois
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il fut jeter dans l’ombre comme l’oubli
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elle s’était mêlée à ma vie
mêlant de l’ombre à la clarté de mes jours
m’hélant comme un taxi libre traversant la ville une nuit sans retour
qui retenait ma main mon corps tirant toute la lumière de mes jours
me privant d’aile et d’air
un amour
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comme la lumière une femme te plonge toujours départ venu dans l’ombre la plus profonde
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au sol le mur projetait une ombre régulière aux bords lisses et tendus une lame affutée découpant la lumière un vide une interruption un gouffre
j’y ai vu le monde disparaître
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rêve
rêver
trêve
ombre projetée
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tu me suis ou me précèdes parfois les deux simultanément comme des obliques issues de mon corps lames au sol tirées tendues alors que je marche en ville la nuit seul
les lampadaires régulièrement espacés et alignés te dessinent animée formant compas aux aiguilles cadencées
le temps est rapide près de toi
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une nuit noire en dedans
on ne saurait sauf abusivement parler
de l’ombre dans laquelle désespérément on se trouve
alors préférer quelque chose comme
trou noir vide total monde disparu enfer
en somme
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je suis à l’ombre de toi dit-elle
dans ton ombre
collée à elle
tu es ma propre ombre voulait-elle ajouter
ou encore
mon ombre préférée
ma belle ombre
mon ombre dorée
je suis à l’ombre pousse toi pensait-elle
mais
qui ne le disait pas

1ère mise en ligne et dernière modification le 8 avril 2014.