l’air de rien


dans l’après-midi et un bruit ronronnant caractéristique on a vu remontant la rue jeanne d’arc un coupé maserati flambant neuf à la carrosserie flanquée de motifs autocollants façon camouflage mais dont les teintes tiraient sur le rouge et les dimensions la caricature
la rue était encombrée et la voiture dans des vrombissements aussi impressionnants que démesurés n’avançait à chaque accélération que de quelques mètres alors qu’on l’aurait crue pour peu qu’on ait fait abstraction des lieux fermant les yeux et effaçant les bruits de la ville l’entendre se lancer sur une autoroute après un péage quand les puissants ou qui le croient de ce monde aiment aux autres le montrer ou au départ d’une course tribunes pleines assis devant sa télé
la rue jeanne d’arc dans sa partie sud délimitée par le square verdrel qui en détermine une fois qu’on l’a dépassé sa partie nord doit être longue d’un kilomètre ce qui en cet après-midi rendait la marche à pied plus rapide que la voiture malgré ma difficulté à avancer essoufflé de l’effort et de l’attention que demandent les pas quand quelque part quelque chose en soi cloche et de voir le coupé prétentieux et bavard à ses côtés on se surprend à penser aux personnes étendues faisant la manche pancarte sur le ventre comme aux jeunes lycéens battus par les policiers de la république on est comme ça
la nuit venue et l’impossibilité de s’y abandonner revient l’image de la voiture conduite par un jeune homme aux traits indistincts qu’accompagnait une femme siège passager aux cheveux longs visage fin mais dont le verre fumé des vitres des portières cachaient le tain et on se surprend à imaginer un petit groupe d’individus cagoulés marteau à la main on les voit même venir alors que la voiture est à l’arrêt la frapper la cogner en enfoncer la belle carrosserie pleine et tendue généreuse et racée au ventre plein de dédain que les gaz d’échappement tentent de rejeter sur le monde comme on vomit sa haine pour se croire exister et les individus masqués tapent et tapent encore froissant l’enveloppe camouflée et tape-à-l’œil dont le rouge devient celui des hématomes avant de laisser tomber à terre dans un geste unanime et instantané les outils de la lutte et de se disperser dans la foule une main enlevant la cagoule l’autre passée dans les cheveux l’air de rien



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 février 2017.