madeleine


elle se demande comment il était qui ne s’en souvient plus comment il parlait marchait l’aimait elle cherche les yeux clos revoit des scènes lui près d’elle assis mais ne discerne ni son visage ni ses mains posées sur la table parfois il est debout près d’elle elle le sait elle le sent comme elle marchant elle se retourne un voile une ombre son image sombre se dissipe s’évanouit elle tombe

chaque matin elle était levée la première qui quittait la chambre après avoir ouvert les persiennes sur la mer elle disait je reviens et revenais portant un plateau de fer blanc avec deux bols posés au creux de deux assiettes que bordaient du pain tranché une cuillère et une pierre de sucre elle se recouchait près de lui oreillers relevés adossés à la tête de lit et ils déjeunaient regardant la mer le port les premiers bateaux du jour ceux qui entraient ceux qui sortaient

l’appartement était au deuxième étage d’une tour du front de mer proche du sémaphore et du musée on montait sur le toit du premier par un grand escalier extérieur de béton aux marches indépendantes pétales en rotation et entrait dans le second juste comme ça en passant comme on va au café pour se changer les idées s’isoler se reprendre respirer mais des fenêtres on ne voyait que le port et le sémaphore à peine la mer au loin au-delà des digues au-delà de l’horizon

il était parti le premier faut dire qu’il avait été le premier arrivé à peine trois ans avant le nouveau siècle alors l’âge parfait pour sans s’engager partir à la guerre celle où on crevait dans les tranchées si on ne se retournait pas pour fuir déserteurs jugés condamnés fusillés et c’est là où la vie lui sourit une bombe non loi de son poste tombée lui arracha une jambe au premier jour sur le front on le ramassa le transporta le soigna l’amputa de ce qui restait de la jambe et il rentra



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 juin 2016.