loi sur la disparition des œuvres


la situation était devenue intenable
les étagères se vidaient on restait impuissants
les unes après les autres en groupe parfois les œuvres disparaissaient malgré nos mains les agrippant
ici deux livres là un coffret de films tout y passait
tout duras tout gailly vernes michaux ponge peret breton et pérec étaient déjà partis
truffaut tarkovski envolés aussi
peintures et photographies n’échappaient pas à l’affaire qui dans les musées et galeries s’effaçaient parfois devant des visiteurs ébahis qui allaient après demander à être remboursés de leur ticket d’entrée
à la musique arrivait la même chose et tout à coup l’orchestre en sourdine de jouer alors que le compositeur disparaissait ou le cd sur la platine jouant le silence plage après plage
mais le plus étonnant était la dissolution instantanée et sans alerte de bâtiments entiers lors du décès brutal de leurs architectes et tous les gens dedans à vivre travailler de se retrouver à terre amas affalés
on avait préparé des piles de livres les avaient déplacés et cachés dans des souterrains non répertoriés des abris des planques fabriquant à la va-vite des bibliothèques immenses où l’on scannait chaque texte pour en garder trace
peine perdue
on cherchait un médium nouveau dont le produit n’aurait pas d’auteur un médium sans œuvre pour une permanence infinie on devait trouver et se fondre dans le collectif sans individualité sans personnalité pour tous en tous

la loi votée sur la disparition des œuvres après la mort de leur auteur allait bon train
la tâche était immense ils œuvraient bien

ne resteraient bientôt que celles en mémoire celles à raconter on les mimerait les dirait et se remettrait au travail tout sans cesse à re-commencer

(d’après quelques mots de françois truffaut)



retour haut de page

écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
Licence Creative Commons (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
1ère mise en ligne et dernière modification le 9 avril 2016.