ville


à peine perdu(e) reçoit laurent margantin
(vases communicants / janvier 2013)
et laurent margantin me reçoit chezlui

Ville où tout le décor avait disparu.
Ville où les boutiques de luxe avaient disparu.
Ville où les néons et les décorations de Noël avaient disparu.
Ville où le monument aux morts qu’aimaient photographier les touristes, l’ancienne mairie qu’aimaient également photographier les touristes avaient disparu.
Ville où les cases créoles récemment rénovées qu’aimaient également photographier les touristes quand ils les voyaient dans les rues un peu à l’écart avaient disparu.
Ville où tout ce qui était beau et somptueux avait disparu.
Ville où ne restaient plus que les ruines devenues invisibles avec le temps.
Ville où ne restait plus que l’homme sans toit, un Indien, assis sous un porche toute l’année avec des sacs de vêtements et des couvertures sales autour de lui.
Ville où ne restaient plus que les quelques fous qui parcouraient la ville à toute vitesse, l’un cheveux et barbe gris en gueulant, l’autre tête chauve en se couvrant d’un drap qui le faisait ressembler à un prophète.
Ville où ne restaient plus que les cases à l’abandon, celle-là par exemple où on avait retrouvé le corps d’un clochard tabassé et puis brûlé.
Ville où ne restaient plus que les cases à l’abandon, celle-là où vivait un vieil homme dans le dénuement le plus total, abandonné par ses fils, à deux pas du superbe bâtiment du Conseil général.
Ville où le superbe bâtiment du Conseil général avait disparu.
Ville où les voitures de sport avaient disparu.
Ville où le langage des riches avait disparu.
Ville où les pauvres parlaient.
Ville où on voyait et entendait la pauvreté, où on ne voyait et n’entendait plus que la pauvreté.
Ville où ne restait plus que le chien tigré à la gueule sauvage qui passait lui aussi ses journées à parcourir les rues, en quête de quoi ?
Ville où on ne restait plus que la femme noire au bonnet, l’air menaçant, qui marchait elle aussi toute la journée dans les rues.
Ville où ne restaient plus que des chiens abandonnés, ville où ne restaient plus que des hommes abandonnés.
Ville où tu errais.
Ville où tu errais éveillé ou endormi, endormi le plus souvent.
Ville où le monde invisible était devenu visible.
Ville où par ce seul changement surgissait la vérité de l’île.
Ville où par ce seul changement surgissait la vérité du monde.

laurent margantin

le texte est de laurent margantin_décembre 2012
le cliché est d’emmanuel delabranche_saint-denis de la réunion_novembre 2012

la participation de laurent margantin à à peine perdu(e) s’inscrit dans le cadre des vases communicants, initiés par françois bon
(le premier vendredi de chaque mois, on écrit sur le blog d’un autre comme on le ferait pour soi)
liminaire et fenêtres open space furent les premiers
merci à brigitte célérier pour la liste des échanges du mois ici

merci à laurent pour son invitation et son accueil



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 janvier 2013.