à l’apollo


(effeuillage)


je ne savais pas où j’allais le retrouver
ni comment
la peur simple de ne pas le reconnaître lui qui avait changé sûrement
il y a des années on avait partagé un travail en atelier
du matin au soir enfermés
juste de sortir aller au chabert prendre un café ou un plat le midi
rentrer s’attabler dessiner découper coller assembler
et les heures on ne les comptait pas sauf au moment de se faire payer
là on totalisait celles aussi à attendre le type qui nous employait fin de soirée
l’atelier au fond d’une cour sol de pavés après porte cochère
un escalier petit à tenir dans la main marches de bois déformées usées bruits creux sous les pieds
la porte de métal ouvrant sur un espace en équerre que la lumière du jour ne baignait jamais
nord-nord et l’ombre des voisins
on était à deux pas de beaubourg fond de cour premier étage
même pas le bruit de la rue pour éclairer
on s’était quittés après une dispute un différend pas les mêmes idées
les mêmes idées sur rien
un dîner face à face
à quatre
trop de différences chaque fois entre nous
entre chaque
on croit s’y faire on croit pouvoir
et ce qu’on est nous rattrape


je ne savais pas comment on allait se reconnaître ni si on allait se tendre la main ou s’embrasser comme on le faisait avant entre hommes ça se fait pourtant jamais été amis vraiment
et comment on avait repris contact maintenant je me le demandais
était-ce lui suite à l’enterrement d’un ami commun connu il y a 20 ans perdu depuis comme tant et le revoir s’approcher cimetière de bord de mer chapelle surplombant habiller de vert velours fin chemise claire et se souvenir avoir pensé ce n’est pas une tenue mais c’est qui ce type comme ça habillé et le reconnaître vaguement de loin visage vieilli dos courbé cheveux poivrés sans oser s’approcher restant à bonne distance de lui comme des autres et se dire il ne m’a pas vu sûrement attrapant le bras de marie et l’emmenant derrière un platane au tronc plus large que nous deux unis comme cachés témoins discrets d’une mise en terre où on ne voudrait pas être reconnus en fuite en cavale recherchés par toutes les polices et par ces gens ici réunis trou béant tas de terre prêt à reprendre place hommes en noir femmes en pleurs et nous là cachés comme si de la mort on était coupables puis épris de culpabilité
on avait fui sans rien se dire ni à lui ni aux proches ni même un dernier mot à cet ami couché pourtant venu ici l’accompagner
était-ce moi un an plus tard lors d’une soirée anniversaire les 60 ans de l’un de nos mentors enfin le seul vivant encore étage réservé dame de fer ciel étoilé restaurant l’imitant et de se retrouver quelque chose comme à 200 petits fours champagnes paris à nos pieds ivresse montante le croiser à peine quelques mots cartes de la main échangées sans y prêter attention au fond de la poche tombée et le costume vert velours fin que ce jour-là je portais de nous rapprocher dans lequel je retrouverai le déposant au pressing la carte un mois après sans renouer
comment on avait repris contact je ne me souvenais plus mais venant à bordeaux il m’apparut comme évident de l’appeler heureux au téléphone de s’entendre de se parler de fixer rendez-vous à l’apollo ce café repéré dans un guide touristique que ni l’un ni l’autre on ne connaissait n’habitant pas plus l’un que l’autre dans cette ville éloignée


un type au comptoir sandwich en mains bouche ouverte bière entamée
un autre à côté à ne pas cesser de parler une histoire de politique de bourgeoisie de pc et de jeunes bordelais
un troisième adossé et de dos l’air distrait qui regarde par la porte la ville cadrée verre en main du vin on verra après

nous aussi accoudés au comptoir
deux cafés
on aurait pu passer un coup de lavette sur le zinc avant de servir
on dirait que le bar à la gueule de bois

on l’attendra


il ne se passait rien là vraiment
sur la place des passants
des voitures de temps en temps
personne ne sortait ni n’entrait
le bar comme au complet vide dedans

on n’avait pas pris le temps de sortir la terrasse
et puis la pluie qui menaçait
on aurait dit novembre à rouen
mais la chaleur dehors
on aurait cru l’été

on l’a attendu
on a repris cafés sur cafés
on a parlé pour passer le temps
on a observé aussi
il n’est jamais venu


à sa place je ne serais pas venu affronter le temps passé quoi à rattraper et pour quoi en faire

l’apollo est un bar bordelais_photos décembre 2012



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 décembre 2013.