gare de lyon #3


dans la gare elle dansait elle tournait sur elle-même comme en formant de grands cercles vacillants autour de centres changeants elle tournait et le monde autour valsait sol meuble et mouvant plaque tectonique imaginaire cirque cratère elle était enfermée dedans on aurait dit un dé dans un plateau circulaire jeté course folle et entêtante mais pourquoi dansait-elle et depuis combien de temps
la frôlant ce sont ses lunettes finalement qui m’ont surpris pourquoi danser ainsi avec des lunettes de soleil dans une gare de paris alors que dehors il fait nuit
la danse à croire qu’elle ne me surprenait pas ou plus des gens ainsi il y en a beaucoup dans nos villes des gens seuls des gens oubliés des gens sur eux-mêmes repliés on s’habitue on détourne la tête cet homme assis qui hurle à tue-tête cet autre là allongé endormi sur une bâche de plastique bleu il y avait eu deux jours avant une femme installée devant une boutique de pain industriel au nom comme un prénom c’est plus touchant du hall 2 mais là personne ne s’attendrissait alors qu’une police privée habillée de brun et armée de batons voulait l’expédier ailleurs où le pain meilleur sûrement elle criait des mots incompréhensibles une langue germanique scandée des ordres bafoués que les vigiles tentaient d’étouffer qui souhaitaient la lever la faire terre qui ne gênait pourtant personne tous à téléphoner hommes d’affaires ou à écouter oreilles de plastiques chaussées d’autres musiques que celle de la vie ici jouée
ce sont ses lunettes qui ont attiré mon regard le miroir qu’elles faisaient reflet de toute la gare alors j’ai vu son visage tout entier derrière la maigreur de ses joues sa mâchoire affirmée le dessin de sa bouche livide l’ai vue tout entière qui dansait tournait et vu les autres figés sur les sièges comme si ils dormaient
je suis passé repassé ai mis dans ma main l’appareil et ai visé sans voir déclenchements successifs regards perdus parfois elle dans le cadre à danser je suis revenu et revenu encore pas lents mouvements du corps mais de long en large partir et revenir un pas et demi-tour photographier chorégraphie en cours
on était deux je ne l’avais pas imaginé



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 octobre 2013.