un quartier


il y a un quartier entre ville et port glissé un quartier aux bars fermés aux maisons abandonnées aux routes défoncées un quartier où tout pouvait renaître mais on a raté ça comme le reste raté le retour le renouveau raté les couleurs aux façades les sourires aux visages
c’est un quartier de quais aux pavés de grès venant de la côte plus au nord aux rails encastrés comme des cicatrices anciennes et de découper le sol sans plus rien laisser rouler mais le structurer comme la douleur la pensée et y voir encore les pêcheurs lancer des fils au bassin refermé sur lui-même vestiges d’écluses closes et pont tournant figé où quelques hangars fermés et vides abritent encore parfois des autos frileuses les nuits de brouillard
le bureau de la main d’œuvre de ne même plus servir à ça juste une halle voûtée aux nervures de béton bombées couvrant un espace comme creusé dans un corps chômage devenu raison pourtant le plongeoir y est encore au-dedans chaire ouvrière de laquelle on lançait les noms les destinations au port les affectations et les guichets pour la paye en pignon fentes de verre hygiaphones ronds et cette lumière venue du toit faisant du fond un horizon que seule une pendule lune de verre ponctue encore temps arrêté
le parking de l’embauche sur le côté d’avoir perdu cycles par centaines mobylettes et voitures pour des boîtes de fer aux couleurs rouillées conteneurs venus de l’autre bout du monde aux marchandises bradées comme les salaires des ouvriers qui les laissent faire
rien ne compte plus que ceux qui ont occupé la halle la place le quartier ce sont les hommes qui disparaissent
ils étaient partout à pied à vélo en voiture camionnette camion en masse en foule en lutte sous pression à vider les bateaux comme à remplir les péniches à charger décharger guider porter replier défaire et les heures de taper mieux que de l’église les cloches et de se prendre par la main de s’aider et eux de ne plus y être
printemps perdu
tu t’es assis au bord du bassin as mis une table et des chaises as lancé à l’eau des ballons comme on jette une bouteille
tu as posé des couleurs aux portes du hangar le faisant vibrer sous la lumière qui se reflétait de nouveau à la surface de l’eau
tu as investi les friches encerclées de murs de briques y as planté de grands tiges de métal rubans au vent
tu as éparpillé sur le quai des poches transparentes comme des oreillers et d’y voir au-dedans l’eau de la mer et les méduses prises au piège avant d’y poser la tête et de rêver
tu as fait circuler dans les rues un mètre cube de jardin que conduisait un enfant d’une main
tu as repris les boutiques fermées plutôt que de t’assoir sur les bancs de béton de la place de l’église
tu as construit sur l’écluse toute tissée de bois cageots ordonnés une cabane aux lumières radieuses architecture plus belle qu’à millions
et tu as planté à deux mètres de haut un jardin suspendu sur un sol friche asséchée de charbon et vu du dessous les racines comme promis un jour



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 décembre 2017.