banquise


huit ou dix ans moins on aurait envie de dire pour chercher dans l’ombre la lumière et ne rien laisser derrière mais comment se souvenir exactement pourtant les lieux indemnes en soi images infaillibles comme inaltérables aux contrastes francs dans la mémoire ou ce que l’on croit en être mais à la place des sensations il y a l’horreur les heures aussi chaque moment chaque fois chaque instant et en revoir le déroulé revoir le temps et qui était là et qui n’y était pas était-ce un dimanche ou un jour férié un samedi peut-être le matin ou en soirée revoir exactement son visage ses mains sa bouche réentendre sa voix sa voix retenue et plaintive aux sons distendus mots découpés par le souffle qu’il cherche à retrouver et ne trouve pas sentir en soi monter le souvenir de la honte ne rien pouvoir faire ne rien pouvoir dire ni ne s’échapper fuir alors depuis on essaie sans bruit les yeux clos sur le monde ouverts sur soi on essaie un autre monde autour une invention plus qu’un rêve solution sans réponse dans la chambre à coucher au coin de la tour deux fenêtres formant angle droit ou dans la salle unique pièce commune avec la cuisine où on ne rentrait pas à plus de trois salle carrée une porte à chaque coin mois une que le fauteuil obstruait obligeant à contourner la table placée en son milieu pour rejoindre le couloir et les autres chambres et sur le sol de grès cérame de la cuisine froid et beige agenouillé sous la table à repasser dépliée et humide de l’eau versée directement depuis une bouteille au bouchon percé et chaude chaleur concentrée sentir au-dessus de sa tête le triangle de métal proue d’acier fendant la banquise des plis et revers draps de coton blanc immaculé et devant soi comme un espoir l’entrée du port la mer au loin un monde entier comme un temps hors de soi à l’extérieur de soi au plus profond de soi pour le tuer l’ensevelir l’étouffer feu sournois flammes plus froides que le sol encore on en meurt ou le tue on se tait le dire à qui pourquoi et comment ne plus y penser sans fin et oublier qu’on pensait à ça se concentrer se refermer devant la trahison de celui qui donna semblant vouloir la reprendre la vie un silence incessant un monde entier de violences la main levée la bouche ouverte frappant hurlant cognant tant avec l’une qu’avec l’autre le visage tiré creusé par une haine-victime le menant au geste-crime il s’étend sur la table dans l’arrière cuisine et guide la main tout en tremble alors on se tait ravale les cris encore le corps froid le corps figé et mort dans l’impossible chose qu’il attend on s’effondre se rejette comme un corps étranger expulsé de l’hôte de soi on ferme les yeux éteint ses sens devient les cendres du feu et la fumée qui étouffe et noue on meurt à chaque fois



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 février 2017.