la chambre est étirée le long de la façade ouverte sur le paysage la baie est grande comme le mur qui nous projète vers un bassin en forme de quart de lune ou un jeu d’eau s’ébroue en un cône inversé et une départementale au trafic important le matin chacun gagnant le centre de la ville ou sa zone industrielle pour y travailler
il y a le bruit de l’eau auquel s’ajoutait hier soir et cette nuit celui de la pluie continue tombant sur des surfaces trop dures trop planes il y a la lumière des néons et des phares en mouvement qui les accompagnent il y a les arbres formant ombres et alignements ou bosquets et forêts il y a le ciel qui s’éclaircit avec le jour venant
il y a dix ans je dessinais plusieurs esquisses pour cet hôtel un long bâtiment serpentant d’abord le long des rives de la rivière découpant le terrain d’un éclair se nourrissant de l’eau comme de la lumière puis un bloc de béton un cube presque avec un patio en son centre puis et ce sera l’esquisse finale trois petites tours décalées sur un socle ouvrant des vues vers le beffroi le clocher la rivière
la chambre est dans la première des trois tours au deuxième étage sous un autre plus grand comme surplombant une horizontale où ont pris place les suites j’ai dormi là adossé à une paroi de bois un lit trop grand horizon plongé dans la nuit sans tirer les rideaux sans effacer le vide qui remplit les miennes
combien de fois déjà ai-je occupé l’une de ces chambres les ai-je toutes au moins une fois louées combien de rêves sans suites m’ont tenu éveillé alors que la fatigue pesait combien de nuits blanches combien de mots sur l’écran et de pages tournées combien de décisions prises qui se sont avérées mauvaises
je reviendrai ici travaillant à l’agrandissement de l’hôtel et du bâtiment qui le jouxte je reviendrai comme pour épuiser en ce lieu dans l’une de ces chambres mes rêves je reviendrai comprendre entre ces murs les raisons de l’isolement et de la fermeture du monde que je tente d’habiter