w. (18 histoires)


l’été arrivait une chaleur étouffante alors que tant déjà l’air manquait on suffoquait dans la ville dans les rues désertes sur les places dans les terrains vagues on peinait à avancer
w. marchait dans la ville les pieds bleus les pieds chaussés de bleu il flottait au-dessus des blocs bâtis un ange aux désirs d’ailes un ange bleu
on le croisait au hasard des rues de l’ancien centre sans y prêter attention on le croisait comme tant d’autres anges revenus pour vivre et se brûler les yeux
_

on m’a raconté une histoire

la ville était froide presque blanche qu’un vent sec rendait tranchante à l’âme
la traverser alors relevait de l’expédition à préparer avec sérieux comme la vague loin au large se forme et prend corps pour venir caresser de la grève le sable et qui avec discrétion en extrait la peau comme l’écume à peine à fleur effleurant le grain de la chair n’en retenant presque rien un sel un or
manteau écharpe et un autre et une autre fallait savoir se préserver pour résister tout emmitouflé dans la ville aux deux rives que le fleuve jamais n’avait divisé et partir comme brûlant au dedans marcher savoir où passant par le chemin le plus court le plus sûr celui des passages et des cours vent retenu un peu de la chaleur des murs dans l’air du moins y croire la peau gelait y avoir cru
la boutique était ouverte mais ses portes non qu’il fallait pousser dernier effort avant de retrouver d’un intérieur le chaud étouffant presque obligeant à se débarrasser d’une couche de ses peaux artificielles et laineuses puis d’une autre respirer boutique à traverser îlots comme la ville rayonnages ordonnés avant de s’immobiliser devant un présentoir chercher chercher encore laisser défiler revenir repasser retirer puis remettre enfin choisir tenir en main ce pourquoi on est venu cœur battant tant ça convoque ça raconte tant on aurait voulu ne pas avoir à l’acheter ce boîtier de plastique musique gravée
en caisse presque personne alors se préparer de nouveau aux extérieurs refermer manteaux nouer écharpes en attendant que cette momie devant soit passe qui se retourne lunettes rondes les yeux derrière comme seul témoignage de la vie sous une fourrure si épaisse les mains sont cachées peut-être absentes la bouche invisible mais reconnaître w.
le temps de payer w. est presque dehors qui semble fuir du moins se presser pressé qu’il est de retrouver l’extérieur quand deux vigiles le serrent l’enserrent le maintiennent et l’invitent à les suivre dans le bureau de la sécurité alors ce sentiment étrange d’avoir laissé arrêter laissé faire devant soi sans mot dire le plus grand de son temps pour quoi dans la poche glissé une musique ou bien un film peut-être même était-il de lui

_

il était dans la rue traversait de biais sans vraiment aux autos porter une quelconque attention distrait ou absorbé ailleurs il est vrai les mains dans les poches chapeau enfoncé front à moitié on l’avait donc laissé sortir ne l’avait pas retenu au-delà de quelques heures peut-être dans une cellule grise comme sa parka que la neige étoilait et faisait briller

_

w. était à vélo qui traversait la ville comme un brise-glace la banquise frayant le bitume faille ouverte derrière lui béance gouffre tout emmitouflé dans des couches indescriptibles de laines et tissus noués et mêlés comme une charge supplémentaire à celle de sa chair dont la progression était lente minutée tours de pédales rythmés qu’un bruit régulier marquait défaillance pièce désaxée sûrement de là où j’étais impossible à vérifier
d’autres bruits lointains un train passant le vent des voix peut-être d’enfants dans une cour emprisonnées un moteur ronflant mais de quel véhicule stationné cette auto miniature ronde et jaune cette autre à portes inversées tenant sur trois roues ou bien encore celle fine effilée noir mat limousine inutile aux vitres teintées d’autres bruits mais rien qui ne perturbait l’avancée certaine avant l’interpellation par deux policiers de w.

_

il faut dire la vérité sur w. toute la vérité enfin essayer
w. est illustre brillant lumineux on se sent ombre près de lui non la sienne mais juste une banale ombre l’envers de la lumière comme la banlieue de la ville
w. nous perd qui mêle les mots déployant des phrases infinies dédales réseaux résilles qu’il coupe segmente dissèque éparpille sur les tables de la ville le sol de nos vies
w. semble avoir perdu le rythme installé dès ses premières œuvres comme quelqu’un qui trop tôt trouve ce qu’il cherche s’épuisant alors à chercher autre chose qui n’y croit pas lui-même
w. n’a volé livre ni dvd rien d’autre que du temps à la mort qui le rattrape le poursuivant depuis longtemps il ralentit fatigue s’épuise marque une pause elle s’avance le frôle il repart un souffle un bond même mais retombe la terre au visage
w. a l’âge de ses mots l’âge de ses yeux qui forment paysage comme la ville se déploie en soi
w. n’a pas d’enfant connu mais combien cachés
w. alors qu’on le croisait au hasard des rues toujours semblait absorbé dans mille pensées nouées profondeur de l’être abîme obscure que son visage laissait paraître comme le vent la tempête qui marchant seul répétait tais-toi s’il te plait
w. n’est pas celui que vous croyez

_

on se croise la seule chose que l’on fasse encore ensemble me dit à voix basse w. dans un café du centre de la ville enfin de l’un des deux centres qui l’est devenu plus que l’autre café plein d’un bruit envahissant voix en tous sens phrases se mêlant auxquelles je ne comprenais pas un mot c’est speed of life de the hospital radio riquest list ajouta-t-il d’une traite comme si c’était important
depuis un long moment déjà on était assis là côte à côte sur un banc des inconnus nous faisant face qui parlaient fort parlaient vite et là ballad of the soldier’s wife de paul jean harvey lança-t-il couvrant presque des autres surpris la conversation qui sitôt reprit et puis plus rien plus un mot un silence impossible à entendre se taisait et se leva à demain me dit-il on se retrouve là
je suis resté assis finissant lentement la bière blonde et cette phrase prononcée résonnant encore en moi on se croise la seule chose que l’on fasse encore ensemble phrase que je ne savais analyser phrase impossible à situer et de qui parlait-il qui croisait-il qui était cet autre qu’il avait avant plus que croisé broken homes jouait

_

w. parlait d’une barque qui s’approchait de la berge sans jamais la rejoindre qui chaque fois sur le point de toucher terre repartait au large s’éloignant infiniment s’éloignant infiniment c’était comme un rêve disait w. mais bel et bien réalité la mer la berge la barque le large le bruit du bois contre le quai la barque comme à s’y fracasser la vague qui l’en éloignait le va-et-vient on aurait dit une métaphore avait ajouté w. avant de disparaître à l’horizon essoufflé

_

qui parcourt des villes
du nord au sud sans
retrouver w.
qui regarde de vieux films
les images défilent
il n’y est
qui feuillette des livres
vide des étagères
perd son temps
qui poursuit des foules
interroge et dévisage des gens
rien y fait

_

un jour de plus ou un an
le contraire de vieillir
écrivait w. dans un carnet couverture de carton brun papier jaune pâle onzième page alors qu’elle le dévisageait sans mot sans souffle sans vie

_

je me sens cette fois-ci comme désarticulé
je ne sais pas comment je vais faire maintenant
après la ville
je ne sais pas
comment je vais y arriver
je me sens si seul et si perdu maintenant
le temps du voyage
entre deux
flottement
libre
j’ai mal
mal de ne pas être où je devrais être
à ses côtés dans ses rues
et pourtant
écrivait w.

_

quand on posait à w. une question et quelque soit cette question w. répondait invariablement par un mot unique et esseulé un mot lancé sans rien ni avant ni après
alors que je lui demandais après une longue absence un long moment sans de lui la moindre nouvelle le moindre appel il me répondait
toujours
je reprenais ne comprenant pas
comment ça va
toujours
je ne comprenais toujours pas et le lui disais
comment ça
toujours comme ça
un sourire se formait aux commissures de ses lèvres alors qu’il répétait toujours répétait

_

marcher les yeux clos
dans le noir la lumière
dans les villes se perdre
nos regards se croisant
chercher sans trouver
de quoi est fait le temps
depuis toujours deviner
au lieu de savoir
on devrait vraiment
chantait comme à lui-même w. en marchant

_

je ne suis pas d’ici dit w. à la femme lui faisant face cheveux blonds et courts tu comprends dit-il qui étaient assis dans un compartiment climatisé huit places sièges de velours gris rayures accoudoirs pour situer train en mouvement venant de démarrer lumière jaune source dissimulée au dos d’un rideau plissé et au lieu de la vitre cadrant le paysage un miroir noir que des néons ponctuaient à rythme régulier vitre devenue leur image intacte et parfaite reflétée w. répétait je ne suis pas d’ici ni d’ailleurs de nulle part je te dis et pas même de là où je suis né cette ville oubliée ce désert quand la lumière revint reflet disparu en elle alors qu’ils sortaient du tunnel

_

je suis passé par la baule ce matin ai vu l’horizon je conduisais pour rejoindre saint-marc-sur-mer je voulais montrer à w. l’hôtel de monsieur h. encore là déformé étendu anonyme et le reste disparu même la rue le virage à peine les reconnaître sphères de plomb au sol comme des bombes exposées la maison le bow-window la boutique aux pelles ballons souvenirs effacés par de grosses bâtisses indifférentes au paysage comme à l’histoire je n’ai rien reconnu et n’ai rien dit à w.

_

au coin de la rue comme au milieu dans le tram comme en forêt w. sans jamais lui parler la croisait intimidé qui détournait la tête la penchant légèrement de côté fuyait
ainsi avait toujours été et rien pour contredire ce désir qu’il avait qu’il gardait quand il la croisait de lui parler
w. presque aurait-on dit la cherchait dans les rues trottoirs déserts sur les places aux foules éparses dans les forêts de bouleaux ou de pins où la neige encore épaisse tapissait le sol et qui jamais ne se lassait mais dès qu’il la croisait derrière lui-même se cachait s’effaçait disparaissait
et elle jamais ne le voyait

_

lumières oubliées nuit alentour w. traverse la ville tête baissée que son vélo porte et guide d’un point à un autre des monts au fleuve de la périphérie vers le centre aveugle il avance ne sachant en quel sens
elle était là devant lui dans le silence de la nuit puis a disparu virage serré bloc contourné il l’a perdue qui file loin déjà mais où où est-elle partie et la ville alors de s’étendre à l’infini qui se déploie comme une carte sur la table un autre tout existant dans le moindre de ses plis
w. dans la ville et son désir d’elle

_

on avait invité w. à parler de lui trois heures durant on en avait enregistré cinq pour plus tard ça servirait toujours on lui avait demandé de parler comme on le demande à d’autres d’un homme mort d’un homme bien connu enfin on le croit croyait le connaître l’avoir connu et que lui-même se connaissait à parler de soi comme d’autres le feraient on se trompait le voyait maintenant
on avait écouté w. se perdre dans les replis de sa vie qui répétait des choses déjà entendues dites cent fois avançant en terres connues ressassant des anecdotes qui remontait le temps sans atteindre ce qui est sans parler du présent qu’on bâcla finalement en quelques mots seulement
on avait entendu au début de ses paroles quelque chose sur l’art et ses enseignements et comment il s’était enrichi au travers de lui comment il l’interrogeait sans cesse encore et encore comment il faisait mais le sait-il vraiment et ce qu’on dit soi de soi est-il vrai
on avait entendu au travers du temps repris chronologiquement un parcours une suite progression qui se résumait à une addition logique quelle erreur c’était et dans les questions qui lui étaient posées et dans les réponses convenues qu’il faisait
on avait glissé des extraits sonores des témoignages des citations tout ce qu’il fallait pour une émission mais
on avait perdu w. quelques minutes à peine après l’avoir retrouvé qui déjà avait fui

_

de son père w. garda longtemps en mémoire une image impossible à voir celle d’un homme violent regard perdu tristesse noire un homme qu’on fuit le jour et embrasse ventre serré avant la nuit et la crainte n’est rien face aux peurs déchaînements de cris mains en l’air alors la mort il y pensait et pour soi et pour lui
les fuites furent nombreuses marcher au hasard w. arpentant la ville rue après rue qu’importe ce qui attirait tant que c’était loin et tout de devenir paysage façades de pierre blanches ou délabrées boutiques fermées éclairées clochers trop haut situés des gens aux terrasses des cafés et d’autres sur des bancs endormis de la ville nouveau territoire où un autre réel remplaçait le vrai mille histoires qu’il notait dans de petits carnets
w. aimait son père qui l’aimait aussi et quelque soit le crime jamais l’oublia ni ne l’affronta mais la douleur comme l’amour en soi est d’une violence qui ébranle encore alors qu’il traverse la rue les yeux clos sourd aux bruits du monde tant le monde est sourd à lui



retour haut de page

écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
Licence Creative Commons (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
1ère mise en ligne 20 juin 2015 et dernière modification le 25 juin 2016.