en sourdine


(au fil des jours les paragraphes s’ajoutaient)

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quelques mots juste quelques mots de toutes façons il n’avait plus rien à dire ne pouvait plus ni parler ni écrire de simples grands soupirs émanant de son corps preuve de qui respire encore quelques mots juste disait-il comme pour lui-même alors que personne ne l’entendait personne d’assez proche ni famille ni ami seul maintenant il voulait enfin dire quelques mots juste quelques mots avant de se taire voulait y parvenir

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on habitait 105 rue salvador allende anciennement rue de l’abbaye jusqu’à ce que l’abbaye soit emplie de cierges suite à l’assassinat du président chilien nouvellement élu alors on rebaptisa la rue du nom du défunt à peine si on savait qui il était mais certains de vouloir nous le dire nouvelles plaques aux angles de la rue changement sur les plans dans les annuaires les index et tous nos papiers officiels nos abonnements nos contacts alors passer des appels téléphoniques écrire des courriers en tous sens porter la nouvelle non celle de la mort de l’homme de l’hommage de l’histoire mais bien celle de l’abbaye qui disparaissait pourtant encore bien réelle au bout de la rue dressée de pierres assemblées et d’ardoises couverte dans la pente jardin alentour le regard perdu sur la ville basse le port l’estuaire mais désormais comme anéantie par le meurtre de cet homme infamie des unions étatiques il fallait annoncer que la rue de nom changeait remplaçé par celui d’un sauveur devenu feu devenu signe symbole sang et répression un nouveau visage un nouveau virage pour la rue qui n’était que son second le premier dangereux une courte courbe virant sec occasionnant sans cesse accidents nocturnes dérapages prolongés retournements spectaculaires et blessés légers dans la tôle pliée des morts je ne crois pas qu’il n’y en eut jamais rue de l’abbaye rue salvador allende à part lui

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je me réfugie dans la chambre celle de l’angle d’où l’on voit entrer et sortir les cargos du port que tirent tractent freinent des abeilles noires et blanches numérotées de un à trente fumées sirènes bruits des puissants moteurs je m’allonge sur le lit placé dans l’angle opposé aux fenêtres un poteau les séparant où je m’endors instantanément il est trois heures à peine le soleil cogne sur les persiennes de fer blanc qu’on avait fermées pour limiter la lumière posé à même les draps la tête de côté alors qu’au séjour pièce carrée vue sur le port la digne nord à l’horizon on finit de débarrasser bruits de chaises déplacées et comme une musique provenant de la cuisine de la vaisselle qu’on y fait le bruit s’atténuant et bientôt tout le monde pareillement allongé sieste quotidienne une heure jamais plus une heure la ville en sourdine

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il y avait ce tableau dans le salon accroché au mur tapissé d’un vieux rose tissé toile moirée grand presque comme la pièce représentant scène forêt pour décor femme puissante et droite drapée d’une soie verte sein gauche découvert qui semblait ne regarder personne comme de mona l’opposé et derrière alors qu’elle occupait le premier plan sur la gauche de la toile un paysage de clairière au sol jaunâtre fuyant horizon bas bien plus que ses yeux arbres en lisière jaunes pareillement l’automne sûrement dont chaque tronc chaque branche étaient parfaitement dessinés qui ceinturaient l’espace dans un mouvement circulaire enlacement enveloppe à bras ouverts que le corps dressé dans sa plus belle verticalité recentrait toile non signée qu’on saigna un jour d’un coup maladroit de corniche de plâtre qu’il voulait poser en périphérie de la pièce anoblir un peu l’espace l’adoucir et des angles la toile s’en souviendrait percée en deux points distants de quelques centimètres seulement un geste malheureux que l’on reprend empirant la chose d’une blessure en voilà deux femme non touchée de côté angles vifs aigus comme l’épée affutée et fine lame blanche qui disparue chez un antiquaire peu avant sa mort je crois qui ne le voyais plus déjà

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maison de briques et de mâchefer construite droite sur un terrain rehaussé qui de la rue ne laissait voir ni le sol ni l’arrière comme un décor planté au loin l’estuaire que dissimulait une barrière de longues constructions un mur continu et opaque partiellement recouvert d’ardoises de ciment ou de dalles faisant des deux premières matière la synthèse plaques carrées à la teinte rouge sang flammée maintenues à la verticale écailles de l’habité par mille crochets de zinc alors de l’estuaire ne découvrir entre deux pignons que la traversée pont jeté et le son des bateaux dans un paysage de brume les matins d’automne là où l’œil échappait percées précises visées fuite miroir évanescent entre les fenêtres régulières et étagées de la maison érigée un phare ici un amer au lointain dont on habitait chaque niveau que partiellement

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ouvrier chaque jour de sept heures trente à dix-huit heures qui passait aussi ses soirées et temps de repos vêtu de son bleu à travailler qu’il rapportait de l’entreprise le vendredi soir dans un sac un bleu d’une pièce combinaison les jambes d’abord à enfiler par dessus le pantalon gris puis dans un mouvement de torse et de bras combiné enfiler les manches remonter le col fermer le zip jusqu’en haut venant couvrir chemise blanche rayée et cravate qu’il ne voulait jamais enlever comme si à elle seule elle allait redresser la barre de ses années perdues études arrêtées échecs hontes au fond n’avoir pas réussi disait-il alors le zip le monter haut mais toujours laisser visible dans l’encolure le nœud de cravate serré droit comme la marque de l’ouvrier dont l’habit ne faisait pas la seule qualité et fier de le dire de la montrer tous les jours de la semaine mais pas le samedi qui quand il se mettait à casser un mur à refaire un sol à redresser l’huis d’une porte à refaire la peinture écaillée de la balustrade nulle cravate ne se laissait deviner sous le bleu électrique de la tenue de travail un tee-shirt seulement blanc et propre et ainsi des heures à faire de ses mains des choses dans l’intérieur qui n’avaient d’intérêt aucun des heures aux peintures aux tapisseries aux boiseries à la plomberie à dérouler une nouvelle moquette épaisse qui dès le premier pas posé nous donnerait le sentiment privilégié d’avoir sur la lune marché empreinte profonde univers froid poussière amassée et nous là perdus dans cette immensité

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la tour est large trop peut-être manquant d’élancement de verticalité qui semble enfoncée dans le sol enfouie dans les alluvions du fleuve que la mer vers les berges de l’estuaire repousse lourde ancrée marquée aux angles de piliers massifs et puissants retenant l’espace habité on dirait une structure un casier tels ceux à bouteilles grille résille ruche chacun à habiter sa cellule que des fenêtres régulières et toutes identiques ouvrent sur la mer lignes droites tirées et pour ceux qui vivent de l’autre côté la ville et ses bétons la côte et ses maisons

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il s’était inscrit à un groupe politique mes amis disait-il puis avait fait parti d’un autre ma famille à le croire il disparaissait certains soirs rentrant tard on entendait la voiture dans la rue se garer la portière claquer ses pas sur les dalles du jardins ceux dans l’allée la clé dans la serrure puis plus rien avant que ne remontent de l’intérieur même de la maison sa voix feutrée cherchant si quelqu’un encore était debout ses pas dans l’escalier de chêne et le bruit de la porte de sa chambre sonnant la fin de sa liberté

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pour ne pas salir le salon devenu entrée ou bien était-ce le contraire on entrait par la cave semi-enterrée sorte de niveau anglais cherchant encore entre terre et air que desservait à l’arrière de la maison coincée entre quatre murs hauts et gris une cour jetée dans l’ombre quelque soit l’heure du jour ou de la nuit baisser la tête passer la porte haute d’un mètre par laquelle durant des années on avait avant livré le charbon je me souviens des trois murets adossés à la façade à l’entrée de la cave formant alcôve que la pierre noire et luisante occupait avant que la pelle ne la prenne et ne la jette au foyer où elle rougissait dégageant une chaleur à peine suffisante à nos joues pâles mais le charbon avait disparu et dans le nord et ici le gaz à sa place était apparu auquel suffisait un simple tuyau alors par la porte sorte de trappe on entrait baissant la tête courbant le dos et malheur à celui qui oubliait le linteau de fer un ipn riveté une poutre dans la brique encastrée on descendait quatre marches de ciment et refermait derrière soi la porte après avoir fait le jour dans la pièce où le linge étendu de frais aux fils dispensait une odeur de lessive et de propreté en lieu et place de l’ancienne houille et de la chaudière de fonte noire et brûlante un parfum immaculé draps étendus serviettes et habits fraichement lavés passer de biais frôler l’humide glisser entre les linges parallèles choisir le chemin le plus court proche de la diagonale et traverser la pièce parvenir jusqu’à l’étroit escalier manteau déposé qui nous ramenait à la vie étage du séjour de la cuisine et de l’ancienne entrée

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la cave faite de deux pièces égales en surface mais dont une seule possédait porte et issue avait multiples fonctions comme celles de réserve buanderie laverie ou simple lieu de rangement on y stockait les outils de bricolage ou pour le jardin autant que les pots de confiture les bouteilles de lait et celles de vin y lessivait le linge dans une machine à tambour chargement par le dessus que l’on étendait aux fils toile tissée à hauteur de tête y cirait les chaussures y rempotait les jeunes plants y bricolait ce qui était réparable de nos mains la cave avait multiples fonctions comme celle plus extraordinaire de se transformer en labo-photo avec un agrandisseur sur glissière dont on enlevait la housse grise le protégeant de la poussière avant de s’en servir recherchant dans un placard proche produits et bacs que l’on plaçait minutieusement dans l’ordre qu’imposait la révélation des tirages sur le papier blanc paillasse débarrassée pour l’occasion on occultait les deux vantaux réduits de la fenêtre qui donnait sur le jardin par des volets intérieurs de bois agglomérés peints en noir maintenus par de simples crochets il y avait au mur à porté de main à droite de l’agrandisseur un tableau électrique avec lumière rouge et reports de commandes pour éteindre et condamner lumière principale et blanche plafonnier à la bulle de verre opale et minuteur de bakélite noire faisant un bruit de bombe pour le temps de pose que l’on remontait d’un tour de main dans le sens des aiguilles d’une montre me disait mon père il y avait les boites de papier photo que l’on n’ouvrait qu’à la lumière de la rouge ampoule et les pinces de fer pour attraper les clichés en cours de révélation que l’on accrochait à travers la pièce sur les fils d’étente à linge les photographies s’égouttant doucement avant qu’on ne les découpe une fois sèches à grands coups de lames massicot noir graduation métrique sur le côté copeaux blanchis tombant sur le sol gris blancs lambeaux cadres de nos vies

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il avait mis des années avant de gagner une tranquillité méritée celle de l’isolement de la solitude de l’éloignement des habitudes il avait mis des années à pleurer les mains sur le visage à se taire qui maintenant voulait parler mais comme laisser faire comment laisser dire crier plus fort écrire

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les soirs de fête des mères on quittait la ville la côte et le port filant vers l’est remontant l’estuaire pour gagner le fleuve qui inexorablement se jetait en sens contraire on l’aurait dit suicidaire à tant vouloir y aller à s’obstiner que le sel assècherait alors la gs citroën tache orange sur la route sombre semblait pressée que son pied au plancher maintenait à cette allure vive vite on arriverait la pétrochimie illuminée la centrale à charbon les péniches sur le canal et les conteneurs empilés comme des légo dejà derrière on longeait le fleuve qui bordait la route croisant des navires trop gros pour ces eaux et les villes de s’aligner sur les rives que le miroir du ciel reflétait telle une guirlande en fête se perdant dans la nuit qui tombait on roulait et à rouler ainsi on arrivait étourdis qui en descendant de l’auto nous faisait dire je me sens mal mais personne d’écouter personne d’entendre déjà à entrer quelques marches un palier des portes vitrées qu’on poussait lourdes de ce métal d’après-guerre épais on laissait un manteau une veste et dans la salle carrée s’installait je me souviens des bateaux passant au travers des baies la nuit tombée qui n’étaient plus que lumières je me souviens que la bonne table était celle où assis chacun en tournant la tête voyait l’eau je me souviens de la glace à la pomme dans la coupelle d’inox et du bruit que le métal des cuillères faisait à son contact je me souviens qu’il nous manquait l’alcool je me souviens des fromages sur un charriot et des noms à n’en jamais finir qu’on aurait voulu comme en boucles diffusées dans dans toute la salle à la place de cette musique d’accompagnement inutile une nappe sous le plateau et plusieurs couteaux je me souviens de la tarte fine qu’il fallait commander au début du repas pour le feuilleté disait-elle je me souviens du digestif qui éternisait le dîner je me souviens de la lassitude de l’envie de bouger des verres renversés des disputes contenues des mots que je n’osais prononcer je me souviens de l’aquarium et des taches orangées qui se mouvaient dans l’ombre avant d’être ébouillantées dans l’eau salée je me souviens de l’addition et des sucreries qu’on se partageait comme un trésor perdu retrouvé et je me souviens du départ on sortait le ventre rond montait en voiture le froid avait occupé nos places gelé nos sièges plus rien dehors ne parlait du jour alors la gs orange il la lançait sur la route chemin retour dans la nuit

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la nuit parfois à ne pas dormir allongé sur le dos regarder passer les voitures qui au travers des lames de bois des persiennes fermées dessinaient de leurs phares au plafond de jaunes faisceaux colorés que je suivais des yeux lumières filantes de l’espace un balayage complet et alors que le sommeil tentait enfin de s’installer entendre le crissement interminable de pneus lancés à grande vitesse un dérapage puis le choc la tôle sur la tôle le froissement et le silence enfin le calme monde arrêté vite remplacé par les voix des premiers voisins surgissant dans la rue habitués aux chocs nocturnes qui n’osaient plus garer leur voiture ici parce que toujours un à rater le virage roulant trop vite partant de travers tête-à-queue finissant sur le toit à l’envers et couché sur un brancard rue éclairée de mille feux scintillants projecteurs gyrophares et là à deux heures du matin deux policiers de venir frapper à la porte demandant ce qu’on a vu est-ce qu’on peut témoigner oui j’aurais pu mais resté dans l’escalier surplombant l’entrée me taisais qui aux premiers bruits avais fondu sur la fenêtre les yeux entre les lames de bois j’avais tout vu de la renault 20 grise et de sa fuite sans même marquer le moindre temps d’arrêt qui roulait du mauvais côté de la rue obligeant l’autre auto une matra trois places frontales beige plate comme une assiette à changer de cap partant en vrille contrôle perdu fibre de verre en l’air éparpillement même à rester sur le trottoir des semaines tellement il était impossible de l’emporter sans l’émietter plus encore feuilleté épars j’avais tout vu mais étais retourné me coucher sans mot dire sans aucun témoignage et au matin découvrir les traces noires de la gomme chauffée au sol comme celles que l’on voit dans les films cascades refaites dix fois virages repris encore et encore même chez les meilleurs avant la bonne prise les débris le verre de couleur rouge des feux arrière les morceaux de pare-chocs qui n’étaient déjà plus de fer et sur un mur du frottement de la carrosserie la lecture comme une phrase écrite un beige cri

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agenouillé sur le sol en grès cérame de la cuisine quelques voitures disposées devant je joue en regardant la mer et la file d’attente pour l’embarcadère les anglais venus passer quelques jours sur le continent qui patientent avant l’ouverture de la douane des barrières qui attendront encore dans la ramification des branches de stationnement anglais qui bloquent pour l’instant la voie du bord de mer boulevard maritime et les voitures de prendre la pause file indienne attente longue types imaginaires à parler assis à même le sol froid alors qu’au-dessus de ma tête sur la planche dépliée grinçant parfois au rythme des mouvements elle repasse le linge les chemises les draps qui me frôlent la tête humides et chauds qu’elle arrose quand le linge a trop séché de sa bouteille plastique bouchon percé monsieur propre remplie d’eau vapeur se faisant au contact du fer brûlant sur le tissus mouillé à l’avance une pile posée ici linge après linge déplié humidifié presque humecté puis replié et posé là sur la table de la cuisine formica granité près de la planche prêt à être repassé et une fois lissé chauffé plié impeccablement elle le dépose en pile à l’autre extrémité du plateau qu’il faudra débarrasser pour préparer le déjeuner on est mercredi les anglais en bas de la tour n’ont pas bougé les voitures sur le sol carrelé non plus sauf une peugeot 604 beige qui se met à doubler conducteur inconscient dérape fait des tonneaux trois tout de même et se retrouve sur le toit percutant une citroën diane rouge et découverte la police arrivant rapidement que de la main droite je déplace simulant sirène et moteur simultanément arrestation commissariat interrogatoire avant de relever la tête et de voir que la file a bougé les premiers passant les contrôles comme à une frontière comme si après la cabane et les douaniers ils étaient ailleurs autre pays qui ne sont encore qu’ici loin d’être partis encore à mes pieds alors je me relève fourmis dans les jambes ne les sentant plus à force d’être agenouillé et quitte la cuisine elle me suit allant ranger dans les placard du couloir armoires et penderies le linge fraichement repassé

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le matin on montait en voiture lui et moi en premier il démarrait le moteur le faisant chauffer j’attendais assis à l’arrière me taisant qui n’avais rien à dire ni rien à faire juste de sentir la chaleur dans l’habitacle monter alors que dehors derrière nous la fumée s’échappait et de regarder les vitres se désembuer comme l’eau monte dans la bouteille que l’on remplit avant de déborder l’hiver quand le froid de la nuit avait couvert de givre les carreaux alors il ressortait laissant la clé de contact enclenchée dans le neiman les gratter d’une spatule dessinant sans le vouloir de ses grands gestes devant couvrir la surface de la vitre toute entière des œuvres abstraites comme en mouvement en évolution animations en noir et blanc qui finissaient par révéler l’extérieur tout en couleurs et tout entier de sa main gantée de cuir brun il faisait chaque vitre en faisant de la voiture le tour et le pare-brise et la lunette arrière avant de revenir s’assoir devant moi claquant sa portière d’un geste sec et sûr et de patienter qu’elle nous rejoigne apprêtée enfin prête et accompagnée de mon frère les portières claquaient encore la radio parlait et tous à bord on quittait notre stationnement sorte d’alcôve qu’il avait creusée de ses mains dans le terrain une niche dans le jardin un trou dans le plein de la terre on tournait à droite s’engageant dans la rue passait le virage dont un café marquait il y avait peu encore la fin devenu ruines puis rien simple vide avec deux arbres et un banc inutiles qu’ils étaient c’était sur la gauche l’escalier mécanique on le disait roulant on longeait le cimetière nord le fort de tourneville et débouchant sur la place de l’amiral la traversait ne pouvant s’empêcher belvédère vue perdue au loin de redécouvrir chaque matin l’estuaire la ville la mer les cargos les cuves de gaz un phare sur chaque digue à l’entrée du port le clocher pointu de l’église du perrey auquel répondait la tour carrée de l’hôtel de ville avant de descendre la grande côte à trois files dont celle du milieu était attribuée à la montée ou à la descente selon les heures et le trafic de grands feux surplombant la chaussée pour seules indications qui nous faisait fondre sur le centre ville comme on aurait descendu la pente abrupte et infinie nous semblait-il du grand huit de la fête foraine du palais des expositions

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on avait eu une fiat 128 jaune coupé sport sortie des usines l’année de ma naissance reconnaissable aux feux arrière rectangulaires et verticaux entourés d’un jonc chromé on avait eu et perdu une fiat 128 jaune coupé sport dans un accident survenu un 23 décembre au soir dans la rue de l’abbaye voiture vide de ses occupants percutées de plein fouet par un break 404 peugeot gris souris voiture méconnaissable que l’assurance n’accepta pas de faire réparer condamnée à la casse que l’on vit pourtant un jour des années après réapparaitre dans cette rue dont seule le nom s’était changé en allende même voiture devenue de collection dans le virage même où on l’avait laissée devant une petite maison de brique et mâchefer la même jusqu’à l’immatriculation preuve parfaite de la survie de l’auto et lui le dimanche matin qui suivit d’aller frapper à la porte bonjour vous permettez qui sort de sa poche une clé et ouvre la portière côté passager un double qu’il avait gardé après l’accident un souvenir qu’il remet finalement aux nouveaux propriétaires étonnés comment était-ce possible cette voiture revenue dans la même rue se garer dans le virage exactement où elle avait été accidentée voiture dont mes propres souvenirs datent de la période où elle ne nous appartenait déjà plus une gs x2 citroën orange l’ayant remplacée dans le garage à ciel ouvert qu’il avait creusé dans le jardin de la rue rehaussé pour des accidents réguliers protéger la voiture

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à la table carrée de la salle je passe des heures assis le matin comme l’après-midi à dessiner des vaisseaux ceux à voiles larges flottant sur des mers de pirates j’y fais mes devoirs toujours à la même place la pendule de bronze dans le dos la mer le port à ma gauche par les fenêtres découpés façon miniatures encadrées il y a sur la table un tapis de gomme aux motifs concentriques et carrés et j’y joue par passades voitures modèles réduits de fer immatriculées dans le département 69 je préfère les majorettes lyonnaises aux anglaises matchbox que l’on trouve chez le marchand de journaux de la rue de paris qui sont d’un dessin plus précis finement moulées et aux suspensions bien faites qui se penchent dans les virages routes imaginaires les pneus sur l’asphalte à chauffer

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il n’aimait pas le sport ni collectif ni individuel ni mécanique n’aimait pas le rock à peine la musique classique n’aimait rien vraiment

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au premier étage de la maison on découvrait au travers de fenêtres verticales découpées chacune en six carreaux la ville en contre-bas de la côte l’étendue du port prolongeant le sol d’alluvions déposés par le fleuve on voyait honfleur jusqu’à trouville de l’ancienne salle d’eau du premier la nouvelle aménagée au grenier laissant place libre pour cloison mise à terre une bibliothèque blanche murale de bois peint placée perpendiculairement à la fenêtre qui faisait face à un secrétaire marqueterie foncée ici ou là abîmée devant lequel était avancé un fauteuil thonet bois courbé il y avait aussi un guéridon nappé de velours bordeaux une lampe en porcelaine chinoise une photo noir et blanc du grand-père sous un verre ciselé trépied d’argent et la radio de plastique grise et de marque radiola qui chaque fin d’après-midi diffusait mécaniquement radioscopie sans qu’on ait besoin de l’allumer ou sans qu’on sache qui l’allumait et dans les étagères de la bibliothèque des centaines de livres aux couvertures de papier jaunes roses blancs que je tirais par la tranche pouce en appui pour faire bascule index au sommet tirant à moi les feuilletant rapidement lisant au hasard quelques pages et avant de les replacer et d’en réaligner les tranches parfaitement à moins de les garder dans la main allant vers ma chambre où une pile sur le bureau se formait doucement sédimentation de mots de textes et d’auteurs quelques titres à lire assis le soir nuit venue temps suspendu dans le noir

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après le carrefour que formait la rue allende et une avenue dénommée de frileuse à l’ouest de la maison avait été construit dans la pente séparant villes haute et basse l’escalier roulant sorte d’escalier mécanique comme on en trouvait dans les grands magasins et aujourd’hui les supermarchés et les gares couvert abri aux marches faites en surface de lames de bois grisées par le temps blanchies par l’eau de javel qui dans un mouvement de rotation perpétuelle permettait à la fois de monter de la ville basse sur le plateau et de descendre de la ville haute dans la plaine alluviale fait de deux chaines d’engrenages issus des temps modernes d’un moteur électrique entrainant ce collier aux perles géométriques et abstraites rubis roulés par la mer galets de bois fin qui une fois monté à son bord vous emportait sans effort où vous souhaitiez aller déroulant un parcours connu d’avance et sans surprise juste une ligne droite tête relevée ou baissée dans une course infinie qui s’achevait pourtant objectif atteint de l’autre côté de la ville comme sur une autre rive avalant l’altitude comme on traverse l’escaut mais avant d’y pénétrer il y avait en bas de l’escalier pour qui allait l’emprunter pour monter un local réduit chaise armoire tablette faiblement vitré une caisse tenue par une femme âgée depuis toujours assise là du matin au soir collectant les pièces d’un franc somme à acquitter pour la montée la descente se faisant sans surveillance ni contrôle qui restait gratuite à tous et d’ailleurs qui aurait payé pour descendre du plateau alors que cela se faisait par les escaliers de briques jouxtant le roulant sans effort

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l’appartement est grand qui fait un angle poteau le marquant il y a un vestibule sans fenêtre qui sert d’entrée suffisamment vaste pour un guéridon de bois vernis des fauteuils à l’assise d’osier et une armoire de merisier où l’on cache à noël les cadeaux mais tout le monde le sait et de là comme de la paume de la main les doigts se ramifient les pièces à vivre s’épanouissent la cuisine d’abord accessible par une étroite porte la table juste devant dans la profondeur de la pièce adossée au mur qui la sépare de la salle à manger le réfrigérateur la gazinière et l’évier sur la gauche et alors que sur le seuil on est resté la fenêtre verticale comme l’homme aux huit carreaux carrés découpant le port et son entrée droit devant puis vient la salle porte plus large vitrée peut-être toujours ouverte au format carré aussi quatre par quatre la table au centre cirée les chaises autour bois noyer cuir bombé clous cuivrés un buffet pendule et vases de bronze impossible à déplacer un vaisselier qui fait face où l’on met dans une boîte ronde et plate au fond métallique argenté et au couvercle transparent les bonbons menthe ou fruits et d’en prendre un une fois par jour seulement vers trois heures avant de partir aux courses et l’argenterie sur les étagères de verre un service à café en argent à facettes lustrées décomposant l’espace de la pièce avant de tenter de le reconstituer des tasses de porcelaine fine et chinoise presque translucides pour le thé noires et peintes de décors colorés le téléviseur glissé entre deux fenêtres posé sur une table à roulettes un de ces vieux postes qui nouveau a été un jour écran bombé noir pour une image neigeuse avec sous le haut-parleur unique et latéral une molette pour trouver les chaines un deux et trois qu’il regarde chaque soir depuis son fauteuil de cuir usé et large que l’on a placé devant une porte estimant que des portes il y en a trop dans cette espace carré et réduit qui dessert aussi une chambre celle de l’angle où après le repas j’irai m’allonger comme eux au bout du couloir qui en dessert deux autres et la salle de bain sans lumière sans fenêtre un lavabo la machine à laver le linge qu’on étend sur un tancarville posé en équilibre d’un bord à l’autre de la baignoire blanche et émaillée

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dans la salle à la moquette verte et lunaire une table couverte d’acajou et un buffet en apparence à elle similaire renfermant sous son marbre épais et rosé quelques jeux de poche et de petites voitures de plastique coloré celles qu’on place le long des voix de chemin de fer réductions parfaites qui roulent comme les grandes une panhard une ds une aronde parquées dans de petites boites de carton imitant les caisses de bois qui servaient avant à transporter séparément chaque auto à les décharger des cargos une par une à bout de bras de grue en mouvement dans le port havrais qu’on tentait les jours de repas de famille le dessert arrivant d’attraper d’une main discrète glissée sous le marbre cherchant à l’aveugle dans le vide que réservait le tiroir entre le dessus des glissières et le lourd plateau de pierre rapportant de cette fouille un solitaire des dés miniaturisés mais à quoi pouvaient-ils servir un jeu de cartes réduites un dictionnaire lilliputien anglais / français et avec succès les quelques voitures longues de cinq centimètres chacune dans leur écrin de carton trésor déballé sur la nappe avant de se mettre à jouer jusqu’à la disparition des derniers invités

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toujours beaucoup à dire beaucoup à parler
pourtant peu de ses conversations m’ont marqué
peut-être aucune même
car impossible de dire ses convictions ses idées
ce à quoi vraiment il tenait

de tout cela ne restent que les apparences les lieux ses cris sa violence impossible à dire ici

à table il était devenu impératif de se taire tellement parler une douleur alors sur soi se refermer en soi s’isoler ne plus écouter ne plus dire ne rien répondre ne rien faire finissant par quitter la rue la maison la cave et son grenier laissant chaque chose les autos miniatures les photos aux fils suspendus les livres dans l’étagère classés et au plafond la lumière des phares avant que tout ne dérape ne chancelle ne finisse dans le fossé

en sourdine seulement



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 31 août 2014.