quarante-cinq


installé au frais de l’ombre je tente de revenir sur les quarante-cinq années passées mais le matin n’y suffira ni même la journée ni celles non encore dénombrées qui suivront alors seulement esquisser du temps les monts et les vallées

ça avait mal commencé elle qui ne voulait pas de moi pas d’enfant pas le moment et puis pas le bon sexe alors de côté repoussé mis en quarantaine j’en sors à peine
ça avait été ses heures à elle avant les miennes son temps à se regarder à se préparer et à le refaire sans cesse sans fatigue aucune juste refaire ce qui chaque jour inutile se défaisait sans rien construire sans rien entreprendre que la répétition parfaite d’un cycle trop court pour envisager d’en oublier les premiers faits
je n’ai pas grandi auprès d’elle sans fuir c’est elle qui m’a mis de côté alors ailleurs j’ai vécu appris aimé joué et chaque fois que je revenais c’était des cris des larmes des mots comme des gifles qui frappent et blessent plus que l’amour jamais ne peut donner c’était s’enfermer s’isoler en oubliant les autres comme disparaissant hors cadre hors champ les faire taire bâillonnés
grandir au bord de la mer sans jamais la prendre juste la voir étendue défaite miroitante étale passant par dessus digue froide aux bateaux épars qui occupaient l’horizon comme placé à la limite des choses d’avant la chute
grandir dans la ville neuve et reconstruite sans s’en rendre compte sans que personne n’en parle frotter aux murs ses mains pour en adoucir la peau en prendre l’empreinte en mémoriser l’écho
grandir seul derrière le carreau les anglais en bas qui attendent le bateau des enfants à jouer dans la cours de l’îlot les abeilles-remorqueurs prenant la mer pour rapporter des cargos venus de chine et chargés de notre lente perte certaine
la ville et son port sa mer et son plan quadrillé je les ai en tête qui jamais ne m’échappent terre conquise comme or
la lumière gagne la rue la chaleur monte il pleuvra demain
lui il était fragile père courant à sa perte trop jeune de tout
lui il était violent gris à peine je ne l’ai vu vieillir nous fâchant
lui il était dans l’ombre à se retenir qui ne le fit pas assez pourtant
ne pas y revenir maintenant
c’est la ville les villes toutes les villes qui libèrent nouveaux horizons embarquement nouvelles mers se jeter dedans
il y a eu paris le temps des études des premiers emplois d’un premier enfant
il y a eu paris en marchant parcours dessiné a posteriori sur la carte au mur fichée chaque jour un nouveau fil se posant jamais le même jamais le même et la carte de se remplir comme les heures de passer chaque fil se liant et menant au suivant et encore
il y a eu paris et ses rencontres ses amours ses pertes son désespoir
et puis il y a eu le retour la ville de sable et de ciment la mer par la porte cadrée les autres enfants
et puis il y a eu d’autres retours plus violents
quarante-cinq ans



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 juillet 2014.