silence


lors de votre dernière rencontre il était descendu dans le hall (tu refusais depuis déjà longtemps d’aller dans les étages les couloirs les chambres) qui avait du mal à avancer chancelant pas hésitant gris de peau mourant
tu t’étais levé approché l’avais embrassé sur la joue elle était froide elle était creuse des larmes perlant de ses yeux (tu ne l’avais déjà que trop vu pleurer) alors tu fermas les paupières et reculas d’un pas comme pour t’extraire de là
assis il se reprit presque à te sourire mais qui se taisait (tu ne voyais en lui surgissant d’un passé imprégné en toi que ses cris insensés) tu restas figé muet

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mieux vaudrait souvent se taire
s’oublier encore
fuir
mais l’amour toujours de te prendre
qui avec lui renais
respire
le jour se lève dehors il fait frais
un an de plus au jour
le contraire de vieillir

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ça avait été difficile à dire tant au fond c’était
se retenir ne savoir comment faire avouer se taire qui sait
d’une main tremblante il avait du comptoir rapporté un plateau de plastique noir tasse à thé verre de bière dessus posés équilibre précaire qui croyait se voir avec elle embarqué
assis face à face il n’osait la dévisager préférant lancer loin son regard les pistes le tarmac des avions posées d’autres qui décollaient scène muette la vitre immense comme un écran silencieux sur sa propre vie distante
un peu avant l’embarquement leurs coudes à peine de se toucher assis ils étaient l’un près de l’autre elle qui parlait revenant sur son enfance des souvenirs bêtes presque elle riait lui pleurant
ça avait été difficile à dire tant au fond c’était mais rompre le silence s’élever enfin droit comme d’un trait fin filin tirer loin
dehors la nuit tombait
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la porte refermée derrière elle la pièce reprit corps alcôve comme une peau l’enveloppant baignée de lumière milieu d’après-midi mois de juin l’été enfin s’installant
elle avait ouvert la fenêtre un air léger était entré qui caressait son visage et froissait ses longs cheveux dorés
assise elle retrouva sous ses mains le livre entamé des années plus tôt pages cornées couverture de soie juste une légère poussière manteau duvet de le recouvrir matelas disant combien le temps déjà avait passé qui n’y toucha le laissant fermé posé là
sous ses mains le plateau froid verre trempé abritant quelques dessins
elle se souvenait
le bleu sur la droite paysage urbain ciel chargé un type dans un coin à regarder
le rose non loin la lune dessinée éclairant du sol une unique plaque comme un gigantesque plongeoir dont on ne pouvait que se jeter
le vert plus à gauche traits à foison arbres ombres pliages divers quelques chiffres pochés et ce même type dans un autre coin toujours à regarder
dehors la ville avait sombré comme éteinte bruit absorbé

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écoute mon silence dit-elle



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 juin 2014.