quiproquo


la fenêtre sur la rue était éclairée comme toutes les autres immeuble de briques blanches pierres aux encadrements large carré lumineux au travers duquel se devinait un intérieur bleu et moi en bas d’appeler appeler sans cesse je suis là ouvre-moi ouvre-moi
la scène dura je perdais espoir m’adossant à la façade opposée comme pour être certain de ne rien manquer et là-haut au troisième étage je la voyais qui passait et repassait encore au travers de la baie éclairée et bleutée mais ce n’était pas vraiment elle juste une ombre un battement d’elle comme si seule le mouvement de son corps la faisait exister qui avait disparu de cette réalité
quelqu’un vint à mes côtés qui me salua on se connaissait on parla et parlait encore lorsque la porte de fer et de bois s’ouvrit elle la main à la clenche elle dans la pénombre elle qui enfin se montrait au grand jour de ma nuit et qui en instant fuit
je me mis à courir entrant ici sous un porche traversant là une cour puis un appartement gravissant des escaliers franchissant les toits la ville sous mes pieds avant de tomber

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le havre les années 80 on finissait d’ériger l’un des plus grands ensembles de france des milliers de logements comme les perles d’un collier enfilés comme les feuilles aux branches accrochées sorte de web réseau résille nappe grappe ramification infinie qu’un sang neuf irriguerait
on construisait bas en périphérie et haut au centre pyramide massive que le vide entre les vaisseaux faisait respirer pleinement d’une ville de blocs seulement les rues construites à en voir les gens parcourir le dedans alors courir dans les rues aux creux des façades celle du bas celle d’en haut monter sur le toit la mer le port l’estuaire la ville entière comme des nouveaux horizons
aujourd’hui on détruit les grands ensembles

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j’étais partie sans mes lumières dit-elle

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elle prit la route tôt le matin pour le rejoindre qui vivait de l’autre côté autre coté du mur dans un appartement plus petit que la main sorte de miniature il y vivait y vivait bien ici la porte l’entrée une patère c’est suffisant disait-il ici le meuble cuisine simplifiée qu’un lustre lustre de fer éclairait lumière fatiguée ici la douche le sanitaire vue sur la place en contrebas qu’un marché animait il y avait un lit on s’y asseyait il y avait une étagère pleine de livres des livres empilés empilés en tous sens couchés retournés des livres blancs des livres noirs on se délivrait la table était le sol et le ciel était gris
elle prit la route comme on prend la fuite sans bruit faire sans allumer de lumière elle prit la route il était parti

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il dit
je voudrais partir tout quitter tout laisser
je voudrais re-faire re-prendre re-commencer
il dit
je ne veux plus n’en peux plus
(si tu pars est-ce que je peux venir avec toi)

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la nature
belle comme toi
qui s’éveille au printemps s’épanouit en été
roussit en automne blanchit en hiver
la nature
qui meurt en somme

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et puis je me suis effondré

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bien longtemps qu’on ne vit plus pour soi et seulement pour le système

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tu vois lui disait-il il y a une fosse un vide on dirait d’un cube le négatif affleurant le sol et dessus comme un couvercle de verre révélant un cœur blanc et froid une lumière
avant reprenait-il on avait brûlé ici des milliers de livres un tas un feu qu’on alimentait sans cesse tant de choses on voulait détruire comme si par la cendre les anéantir
dans le cube sorte d’étagère rayonnage de livres laissé désert les mots partis ailleurs en soi en eux les mots tu les sentais dans l’air qui te prenaient les mots plein la tête il disait
du noir du feu on avait pris la lumière les livres à taire on les avait redonnés mais je vois tu ne m’as pas écouté
(aux yeux de l’autre les larmes perlaient qui ne le disait)

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on s’était donnés rendez-vous à l’aéroport un vol vers huit heures on partirait en même temps presque deux heures de vol comme de route attendre devant la porte les bras ouverts la peur au ventre le reconnaitrai-je seulement
on avait passé un long moment de notre enfance ensemble dans ce port industriel du bout de l’estuaire à en parcourir les quais les terminals les parkings de conteneurs ville aux mille couleurs modulaire et semblable à des empilements de légo on se faufilait se cachait aurait voulu monter tout en haut regarder de là l’autre ville de blocs de sable de fer
on s’était dit au téléphone je te reconnaîtrai tu me reconnaîtras on reste les mêmes tu verras
(on s’est attendus des heures à l’aéroport mais ce n’était pas le même)

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à sa mort il fut dit combien il avait été grand et aimé
combien les autres il les écoutait
à pleine main combien il avait donné
(on tenta de rétablir la vérité)

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j’ai peur de toi peur de moi peur de tout
peur tu n’imagines pas
(à l’horizon)



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 mai 2014.