jour


m.a.j. (mise à jour)

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je l’avais connue possédant une peugeot 204 c’est le plus loin dont je me souvienne qu’elle garait dans la cour en bas de la tour que formait l’îlot en son cœur enceinte fortifiée par les logements eux-mêmes logique de hiérarchie refusant la ville moderne ouverte et offerte et sur laquelle indifféremment s’ouvraient les fenêtres régulières et verticales des appartements quelqu’en soit l’orientation côté jour côté nuit comme si les vues pareilles
chaque matin peu après sept heures alors que le trafic se densifiait dans les rues du centre flots continus de voitures venues des campagnes environnantes ou sortant de terre parkings souterrains réserves inépuisables jaillissement elle quittait l’appartement fin prête dans un claquement de porte traversant le grand palier du troisième étage pour prendre l’ascenseur bruit de grille de fer repliée bouton rond et noir sorte de cylindre atrophié faisant comme un ressort sous le doigt pression répulsion et la machine de se mettre en marche les étages défilant entre la maille de fer formant parois pour parvenir au rez-de-chaussée passant par derrière sortie de service évitant le hall principal comme on échappe à un poursuivant à une surveillance discrètement évitant en fait plus la pluie et le vent que quiconque ayant attendu sa sortie et qui arrivant dans la cour saturée de voitures tentait de se souvenir de l’emplacement où la veille au soir elle avait rangé la 204 blanche quatre portes tant les jours tous les mêmes les gestes aussi ou presque
à son bord inexorablement les mêmes gestes la clé de contact au démarreur se baissait assise déjà pour enlever ses chaussures qui les mettait de côté devant le siège passager cherchant sitôt après comme à l’aveugle et sans vouloir poser les pieds à terre les chaussons réservés la veille de conduite pour plus de confort qu’elle chaussait se mettant à l’aise pieds à plat avant d’enfiler une paire de fins gants de cuir brun à petits pores laissés sur le tableau de bord qu’elle ajustait avec soin dans un mouvement inverse au reptile en mue
clé tournée la voiture démarrait et quittait son emplacement position de biais qu’elle était par rapport à l’horizontale à cheval sur la voie et le trottoir tant il avait fallu en trouver de la place le jour où chaque famille s’était mise à posséder sa propre automobile position presque instable équilibre précaire et quittait la cour par l’est soleil levant jour pointant

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je n’ai fait que tourner la tête
le jour était passé

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l’image était fixe dans sa mémoire presque aurait-il pu en voir les limites des bords en dessiner le contour d’un geste de la main continu et précis presque aurait-il pu se perdre dedans
il voyait le fleuve transversalement il voyait la rive gauche devant il voyait des gens marchant sur les quais et des camions passer il voyait les immeubles de l’après-guerre délabrés fenêtres ouvertes appartements désuets il voyait
au premier plan la baie vitrée le balcon et son garde-corps les voies rapides les berges les quais
l’image était fixe mais tout lui parlait de mouvement de celui né hors champ de celui en cours de celui s’arrêtant de celui s’éternisant l’image était fixe pourtant

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ne fait que passer _le jour

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il faut une lumière particulière pour les voir une lumière qui vient de l’est très basse rasante qui pénètre la pièce
ils sont là chaque jour mais on ne les voit pas
ils sont dans l’ombre derrière les fenêtres l’ombre de la pièce l’ombre d’eux-mêmes
ils sont mais on ne le sait pas

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rendez-vous chaque mardi soir hôpital central alors pour éviter les marchands de marbre placés au plus près de l’entrée principale présage d’une issue fatale tu longes par l’ouest l’enceinte de brique gravis la pente où stationnent en épi quelques voitures qu’on collectionnerait aujourd’hui sous la structure métallique des rails du funiculaire reliant pour une trentaine de passagers à chaque parcours villes basse et haute dans un bruit de câbles tendus et de rotations de poulies
par l’entrée de la psychiatrie tu pénètres discrètement dans l’établissement on dirait une ville chaque fois tu te dis ici est une ville de gens en blouse debout à parcourir les allées les couloirs un dossier sous le bras une valise blanche marquée d’une croix à bout de main des brancards à pousser et de gens alités enveloppés de légers tissus bleutés sous des draps blancs continuellement changés on dirait une ville uniformisée monde parfait qui debout et bien portant qui couché et à soigner
de temps à autre une ambulance passe en silence comme si le bruit ici n’avait aucune résonnance et aux fenêtres jamais personne que les stores rouges délavés par la pluie et tendus pour le soleil protégeant les chambres d’une lumière hors circonstance et quelques arbres des pelouses une piste centrale pour l’hélicoptère marquée d’un grand h en lettre majuscule que tu contournes à bonne distance lisant aux façades le nom des pavillons médecins illustres émail blanc et bleu
le bâtiment dans lequel tu entres ressemble à toutes ces écoles des années soixante avec de grandes fenêtres oscillobattantes remplissant les vides d’une structure de béton comme une cage laisse voir le ciel tu montes au deuxième étage parcours le grand couloir aux cent portes identiques que seuls les noms sur des plaques de plastique gravé différencient tu avances hésitant ne sachant jamais à laquelle t’arrêter la trouves frappes et entres bureau en longueur la fenêtre au fond découvrant la ville cadre parfait lumière par le store teintée tu t’assoies attends elle s’approche vous vous mettez à parler

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j’ai repris ma place en haut de la tour angle sud-ouest deux fenêtres verticales hautes comme un homme l’une tournée vers le port les cuves les ferries l’estuaire l’autre cadrant dans ses huit carrés de verre de bas en haut le port de plaisance la digue nord la mer grise dans la baie et l’horizon que ponctuent des dizaines de cargos en attente d’une place dans le terminal des conteneurs

assis à une table plateau de verre collé à l’angle de la pièce que fabrique le poteau parcourant toute la verticalité de la tour du sol au dixième étage la sensation d’être comme en ascension j’en oublie presque la terre tant c’est la mer qui baigne mon horizon je déploie les bras respire l’air fenêtres ouvertes en plein vent du sel sur les lèvres commandant de vaisseau je rêve d’évasion

la table finira à l’autre coin de la chambre alors que de mes bras j’enlace le poteau le vent se fait violent balayant tout qui emporte de la pièce des feuilles qu’il disperse mots perdus je voudrais lacher prise partir avec ailes voler un peu m’étourdir mais déjà la nuit tombe comme le vent s’apaise demain nous verrons

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je n’ai pas vu le jour avait-elle dit

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se lève un thé passe à la salle d’eau encombrée des jouets des enfants y reste longtemps range un peu se douche se coiffe ramenant tout en chignon cachant les cheveux blancs un rouge aux lèvres ressort finit le thé un manteau de laine jaune dehors la neige est tombée un chapeau des gants enfilés simultanément à la descente des escaliers pierre grise usée et lisse main courante de bois verni sur fer noir lumière blanche le froid qui inversement monte de la rue la porte après le hall quelqu’un croisé à peine vu un visage une ombre qui et dans la rue la foule le mouvement pourtant ici avant il n’y avait personne que des ombres des fuyants alors marche se glisse dans le monde s’échappe un moment avance tourne revient sur ses pas passe la porte gravit l’escalier se tenant fermement nausées la clé le claquement avance doucement dans la salle s’allonge s’étend calme retrouvé du dehors seul un grondement rideaux tirés

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la ville s’éclairait lentement
au loin la nuit se dissipait une lueur une issue de l’air le vent
la ville s’éclairait lentement
et dans les rues le froid au visage des gens qui se pressaient allant
on aurait dit un jour de fête
comme des étincelles jetées au ciel la brillance d’une averse
on aurait dit un jour de fête pourtant
la seine débordait nappant les quais de bois plastiques corps desséchés
la seine devenue immense large puissante au gris sombre du temps
on aurait dit un jour de fête quand
le silence stoppa tout tout mouvement
puis ce fût le blanc

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j’ai encore perdu ce jour pensa-t-il sans insister

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suis en mouvement me dirigeant vers l’ouest de la ville
le paysage m’entourant est gris
à toute allure
comme toujour s
je n’arrive pas à embellir la ville
m’en sens vidée
et tout recommencer
(l.)

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c’est seulement la lumière que l’on nomme quand on parle du jour

20 à 30 000 les comptes-tu

au jour le jour disait-elle sans y penser vraiment

aujourd’hui

il y a comme un jour pensa-t-il entre elle et lui

celui qu’il fait

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je me perds un peu plus chaque jour me disperse m’efface ça se voit ici comme là tu crois me voir m’aperçois une ombre déjà une nuée vapeur de moi je fonds dans l’air je crois
j’écris pour mettre à plat et tout prend relief se déploie se complique un peu plus chaque jour un peu plus loin de moi
il y a son histoire puis l’autre il y a sa voix et la tienne qui se croisent chevauchant la mienne il y a son temps le tien tu crois il y a si peu et tant à la fois je ne mène nulle part qui reste là

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ce qui le sépare du suivant est infime
et parfois immense
le jour



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er février 2014.