prison (texte exhumé) _2012


notes préliminaires à un texte sur la prison de pont-l’évêque

plan carré image massive aspect cubique
soubassement en appareillage de pierre et silex
corps de bâtiment enduit imitant la brique
corniche et toit faiblement pentu

ce bâtiment est un cube constitué de sous cubes
il n’y a pas là ce qu’on nomme architecture
rien n’est offert tout est gardé caché dissimulé retenu
détenu
ce bâtiment est un cube ou presque
une masse posée sur le sol dont seul le soubassement semble contextuel
appui et mise à l’écart de l’eau omniprésente dans le terrain
ce bâtiment n’est pas un vaisseau il est statique
trop lourd pour bouger trop grand pour être compris en un regard
il dit seulement ce que je contiens vous est dissimulé
à ceux que je contiens vous êtes interdits

ce bâtiment intrigue
son entrée bien petite pour sa taille
le volume qu’il occupe
son manque de dialogue avec l’environnement
son rapport brutal à la rue
immédiat

vaste cube comportant peu d’ouvertures proportionnellement à sa masse
des alentours il n’a retenu que la pierre et le silex
il est pavé dans la mare
il est coup de poing sur la table
pierre dans le champs
mais reculé éloigné mis à l’écart
il est enceinte et mauvais fils de la cité
il est

au premier regard et sans y pénétrer
ce bâtiment est à l’image de nos silos modernes une coque
on imagine avec peine ses entrailles ses espaces ses planchers ses parois
on imagine son intérieur massif comme une amande encoquillée
pourtant
un détail
un rien discret au point de ne pas être vu montre avant même d’entrer ce que l’intérieur est
subtilité

d’un plan carré le bâtiment possède deux façades identiques et opposées et deux façades précisément dessinées en fonction des usages du lieu et des fonctionnalités
partons de celle de l’entrée
parlons-en
intéressons-nous seulement à ce qui est à notre hauteur d’homme
usage
en son centre et dans le soubassement une porte
de part et d’autre de celle-ci des emmarchements étroits menant à une seconde porte juste au-dessus de la première
porte d’usage
porte de représentation
au sol les rampants les détenus en arrivée directe de la justice
les prisonniers
un ancien tunnel ou peut-être de simples murs parallèles liaient la prison au tribunal situé juste devant
dans son soubassement se lit encore la porte qui y était
murée depuis
des portes superposées de la prison l’une oblige à se baisser à descendre à se courber
l’autre par le jeu des escaliers nous fait nous élever
nous ne sommes pas tous prisonniers
et voilà le détail
au pied des escaliers une pierre unique dans un cube taillé dessine à la fois de la rampe le pied et les premières marches à monter
une pierre grise taillée au cordeau
une pierre impeccablement dessinée et exécutée
comme un seuil une entrée
à la masse globale les deux seuils semblent avoir été ajoutés comme pour préciser
les escaliers multiplient les pierres pour les composer
escaliers aux marches encastrées dans le soubassement avant d’arriver sur le perron de la porte d’entrée
cette installation symétrique élégante à souhait montre un croisement simple des flux
prisonnier venant du tribunal au parcours rapide et immédiat et perpendiculaire à la façade
visiteur employé personnalité montant les escaliers parallèlement à la façade avant de sur le perron pivoter puis entrer
deux parcours en un même lieu exactement
l’un en dessous de l’autre
terré
l’autre surplombant
autorité
l’un abritant l’entrée de celui qui offre le sol du seuil à l’autre
et pourtant les deux entrées parfaitement superposées
plan de flux en T
élévation en A base et sommet
cette finesse cette justesse ne peuvent qu’avoir été pensées
rien ici n’obligeait la simultanéité des entrées des passages de la liberté aux murs

cette façade appelons-là d’entrée
celle sur sa gauche est en tous points semblable à celle sur sa droite située
reflet miroir moitié
la façade arrière opposée à l’entrée est en son centre gonflée d’une demie tour
comme boursouflée d’un escalier qui pour se développer aurait nécessité plus de place que n’en offrait le carré
il n’en est rien
c’est une partie atypique du programme qui ici montre sa forme
se différencie
s’offre une liberté
en symétrie parfaite des escaliers et entrées se trouvent de ce côté portes courbes et traces d’un passé détruit
murs de couloirs accès à la cour des prisonniers et entrées de services se lisent ici à plaies refermées
on a préféré la pureté du cube aux tunnels et murs accolés
une rénovation malheureuse et injustifiée a rendu au bâtiment une horrible peau enduite et peinte
pâle imitation de la brique
alors que les murs et la cour aurait rendu vie au plan si on les avait reconstruits
carré de base
extensions tentaculaires
système proliférant
liens et entre-deux tout était essentiel à l’équilibre originel

la peau des faces n’est que poudre aux yeux
l’inculture vient d’en haut et se fait à renfort d’argent contribué
honte à toi architecte des bâtiments de france qui ne sait rien des choses mais en connaît seulement la superficielle apparence

au dedans l’espace magnifié



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 décembre 2013.