histoire


gare de lyon y passer sans cesse pour des trains qui emportent et toujours reviennent
gare de lyon y laisser un peu de soi
gare de lyon durant des mois y aller une fois par semaine
gare de lyon le café en face
gare de lyon hall aux lettres hall aux nombres
gare de lyon attendre que s’affiche la voie
gare de lyon comme chez soi
gare de lyon une fenêtre
gare de lyon des rencontres
gare de lyon correspondances
gare de lyon tes lettres tes mots tes images en souvenance
gare de lyon pensées croisées
gare de lyon martine sonnet avait déjà montparnasse (lui laisser)
gare de lyon je t’ai aimée
gare de lyon tu m’as échappée
gare de lyon supermarché
gare de lyon pas perdus
gare de lyon son cadran son hôtel et au pied de la tour le quartier des tours
gare de lyon un baba au rhum et le barman derrière le comptoir qui ne te reconnait pas chaque soir
gare de lyon parce que tu l’écris
gare de lyon parce que certains sous l’auvent attendent ta main assis
gare de lyon où tu t’échappes où tu t’es échappée où je t’ai perdue
gare de lyon un souvenir rien de plus
gare de lyon assis à la regarder
gare de lyon de mon histoire plus qu’un passé

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guidé par une étoile peut-être celle-là première à éclairer la nuit (a.bashung)

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vivre dehors même en temps de fêtes et tempêtes voilà son histoire

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la sienne ? la mer l’étendue grise écume et sel de l’air le goût sur les lèvres et le vent qui frappe peau burinée les mains abimées
c’était partir tôt aller aux rochers en pleine nuit marée descendante passer le trou sous le pic gratter le sol retourner les pierres les mains comme les jambes immergées et le froid pour tous le même avec la seule lumière du ciel étoilé lune haute accrochée et les copains qui accompagnaient
c’était tirer la nasse revenir charger fatigué à ne plus pouvoir avancer
c’était après de retour de l’eau prendre un café sans rien avaler de dur et partir à l’usine fabriquer des filets qu’on jetterait à la mer après-midi venu chaluts colorés étoiles capturées

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elle disait ta vie je n’en veux pas le criait même et aujourd’hui dort dans un foyer chambre à partager avec des sans-papiers des dormeurs de rues des chercheurs d’ailleurs des hommes perdus
elle disait je m’en sortirai et lui échappe maintenant le peu qui restait son fils et le père les souvenirs de sa mère son souffle sa survie
elle disait je chercherai du travail mais ne sait plus que marcher dans cette ville de banlieue qui à la capitale donne tout encore sauf sa misère ville épuisée
elle disait faut me laisser qui n’appelle même pas au secours alors que la marée des jours la noie comme un corps lesté
elle désespère
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alors que la ville était bombardée ils étaient venus vivre ici ils étaient dix à se partager cuisine et lits un feu dans le poêle à charbon de la vaisselle sur la table une armoire pleine de torchons je n’ai pourtant connu la maison que les chauds jours d’été où on allait se mettre au frais campagne alentour et aussi en automne juste venir ramasser les feuilles tombées du grand hêtre couper une dernière fois l’herbe verifier pour l’hiver les volets je me souviens d’un anniversaire du grand-père une table blanche et ronde de métal perforé dressée dehors qu’ils avaient recouvert d’une nappe quadrillée vaisselle éparse tous là assis autour comme par le passé à parler du travail de la semaine passée des clients de l’entreprise (familiale) des décès qui augmentaient parmi leurs connaissances et nos cris au loin de dessiner un horizon coupant leurs conversations maintenant que les bombes étaient éteintes

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autant la taire

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il disait j’en ai une tu vois une de rien le travail la famille la plaie l’enfance en périphérie de la ville j’en ai une l’école les copains les classes qu’on refait comme si une fois ça ne suffisait pas pour savoir de quoi on est fait il disait une la famille le meurtre le secret tous les frères qu’on perd de vue et le père enfui le mariage sans amour elle était enceinte le travail qui s’arrête le temps qu’il fait et soi pareil au chômage il disait

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ils avaient interrompu le traffic coupé les routes bâti à travers champs des murs de pierre et de béton construit des fossés des douves des ravins creusé la terre érigé la matière divisé le monde pour qu’il soit deux
ils avaient nommé chaque chose chaque lieu chaque être vivant les classant par familles ou espèces ordonnant tout tout devenant ordre qui prendraient place dans de grands inventaires de papiers ils voyaient clair

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la sienne il l’avait perdue de vue laissée loin derrière dans l’ombre de ses pas qui hésitait pourtant à avancer ou bien était-ce pour cela chaque pas un effort soufflant de tout son corps cœur battant il disait lâche-moi laisse-moi voulant aller de l’avant mais elle s’accrochait qui plus lourde que lui l’était le retenait freinant des quatre faire aimer s’émouvoir découvrir et donner ce qu’il attendait tant



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 20 décembre 2013.