écorce


la mienne se fend s’écaille se fissure se délite
je mue

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à la ville c’était le mur d’enceinte la palissade le fossé que le faubourg la banlieue puis le pavillonnant périurbain ont délité

on devrait raser les villes tirer un trait trop de haine trop de luttes entretenues à grands frais on devrait pousser chacun à la limite de ce monde occuper les banlieues vivre unis on devrait rendre le sol des villes à nos déambulations et à nos songes on devrait à la ville re-donner sa liberté
on devrait re-produire la mixité défendre les différences crier on devrait re-construire les barres les tours les jardins les centres commerciaux les écoles les bibliothèques là où l’histoire est fraiche la place grande le vide immense on devrait abandonner aux ruines les ruines du passé oublier la pierre des religions les têtes coupées aux frontons on devrait
on devrait re-construire au milieu des pavillons des immeubles collectifs laisser surgir des forêts sur les parkings de supermarchés ré-ouvrir les rivières faire voies d’eau et de la plaine prendre à pleines mains le son l’orge et le blé on devrait descendre dans les champs aller aux rues illuminer les clairières éteindre la ville
on devrait tout remettre en cause sur la table à terre
on devrait échapper s’échapper
on devrait fuir s’enfuir
on devrait se déployer

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écrire écorce penser étincelle

ton corps qui se détache ton corps qui brûle ton corps en dehors de son écorce brune
parcelle de feu parcelle de lumière parcelle de flammes qui te cognent te choquent fument
ton corps vie courte étincelle ton corps électrisé quand l’autre s’en approche hume
écrire écorce
pensée étincelle

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parfois je me demande dit-elle si tu sais ce qu’est aimer

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tu la croises par hasard qui sort d’une bouche de métro comme débarquant sur terre tu la suis te mets à son pas marches dans ses traces lunaires épouses sa forme nuée blanche vapeur buée peut-être tu flottes on te dirait son ombre noir dans la nuit tombée
tu la re-croises des années plus tard et ni crois pas le sud le soleil la chaleur de plomb sur les épaules qui pèse comme le temps passé elle te sourit qui te reconnaît tu t’approches tends une main repousses ses cheveux la serres contre toi qui disparaît
tu attendras longtemps avant de repenser à ça ta main son regard les mots lancés jamais attrapés tu attendras
une éternité

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je t’ai écorché le dos arraché la peau tendu la langue extrait les mots
je t’ai tiré de là sorti de terre poussé en mer soulevé dans l’air
je t’ai fui si souvent aussi échappé me sauvant pour taire
je t’ai aimé tant que rien ne reste plus devant

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les secrets de famille ça forge le sang

à tant te taire tu en deviens muet à peine si en respirant on t’entend tu voudrais tout garder en dedans mais on te pousse te tire te reprend comme cela il faut dire ne jamais mentir devenir grand
à tant te taire tu te mets à écrire les mots faut que ça sorte sinon ça étouffe des cris plein la bouche alors tu déballes sur le papier mille choses gardées et inscris sur la couverture du cahier interdit de lire respectez
à tant te taire tu as trouvé à qui parler

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dehors le vent dedans la tempête corps chancelant
hésiter entre l’envol et la chute hésiter seulement
sous les arcades de béton que forment des piles allumettes
un courant d’air comme une étincelle enflame la ville enflant tout son être

la ville ainsi la border

on mettait les imperméables les bottes parfois descendait l’escalier enroulé autour des deux ascenseurs d’acier le hall traversé restait le sas avant le vent avant les rafales d’air compacte et salé
on longeait sous les arcades le béton dressé façades pleines cailloux lavés vitrines closes grilles tirées et malgré l’abri l’appui avançait trempés contre la marée
l’îlot on pouvait en faire le tour sans s’opposer au ciel là à couvert comme dans une tranchée on parcourait le front on disait de mer en revenait lessivés

je me souviens m’être accroché aux piles de béton pour ne pas m’envoler

ailleurs dans la ville le vent se reposait réservant ses forces pour le perrey ailleurs dans la ville chacun de faire comme si l’écorce était solide armure de fer
mais revenir quitter le calme remonter la rivière affronter les éléments viser le large partir en mer

je me souviens m’être accroché aux piles de béton pour ne pas perdre pied

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barrière de soi

à dix ans il mentait comme un adulte se cachant derrière des histoires imaginant que le monde inventé valait plus que celui vécu alors le vivait qui devenait réalité
à dix ans il disait non quand il le pensait oui aussi jamais ainsi n’aurait menti jamais n’aurait trahi juste changer le temps qui passait
à dix ans il partait des heures marcher ne sachant pas où aller avançant au hasard un mur qui guide sur la ville une percée il promenait sa tête ses idées et le monde autour le reconstruisait untel croisé une histoire sur le dos immédiatement imaginée et cette femme là assise sa vie comme si il la connaissait et se la répétait
à dix ans il avait pour chacun un mensonge bien fait une histoire à raconter un peu de lumière dans le sombre un peu de terre insulaire un radeau pour s’échapper
à dix ans il avait tout dit et dit qu’il avait tout fait mais jamais sur les faits n’aurait dit la vérité
à onze ans il se tut pour patienter



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 octobre 2013.